Le titre original du dernier film de l’Américain Dustin Guy Defa, Person to Person, résume plus que parfaitement le propos de l’œuvre. Mais comme, trop souvent, un farfelu n’a rien trouvé de mieux que de traduire ce beau titre par un vulgaire Manhattan Stories qui non seulement manque cruellement d’imagination, mais en plus dévoie totalement le sujet en mettant davantage l’accent sur New-York et en laissant potentiellement croire que c’est un film choral avec un grand rassemblement à la fin.


Le départ même du film est pourtant basé sur cette idée de la personne particulière, lambda et alpha dans le même temps, ordinaire et singulière tout à la fois. Bene Coopersmith qui joue un des personnages les plus emblématiques du film (également Bene) est le meilleur ami du cinéaste. Amoureux de la musique, son personnage bat les pavés pour acquérir une copie rare –ou pas- du Bird Blows the Blues de Charlie Parker. Il draine avec lui tout un ensemble de personnages idiosyncratiques : Ray (George Sample III), son meilleur ami plus ou moins catatonique qu’il héberge après que ce dernier a commis une forfaiture l’obligeant à se mouvoir sous le radar ; un personnage source de la séquence la plus comique du film ; on croise aussi un escroc à la petite semaine joué par Buddy Duress ( presque aussi superbement ahuri que dans Good Time des frères Safdie, dont le cadet Benny est également présent au casting), plus émouvant qu’agaçant ; ainsi que d’autres personnages très singuliers dont Francis (Eleonore Hendricks), avec qui Bene tisse l’histoire d’amour la plus low-key que l’on ait jamais vue. En parallèle de cette histoire que le cinéaste a voulu centrale, suit-on deux autres parcours : celui d’une paire d’ados BFF, aussi proches qu’elles sont éloignées en caractères. Le discours atypique de Wendy (superbe Tavi Gavinson), s’apparentant plus à de la pure névrose de trentenaires new-yorkais dignes des plus grands films de Woody Allen qu’à un babillage d’adolescente, est savoureux et juste, et traduit parfaitement les angoisses de cette jeune femme en devenir. Enfin, le dernier récit est celui de la rencontre autour d’un meurtre/suicide entre Claire (Abbi Jacobson), une jeune journaliste stagiaire qui n’aspire au fond qu’à une vie tranquille, entourée uniquement de son chat, et Phil (Michael Cera), son bouillonnant référent, hyperactif, hyper stressé, hyper angoissé, pour qui la musique de Rammstein passerait pour une berceuse ; une rencontre évidemment explosive et compliquée, et pourtant très tendre à la fois.


Alors, oui, ce genre de rapports a été archi-vu, à Sundance (Park City, Utah) et à SXSW (Austin, Texas) en particulier, où le film a été présenté et où il a glané quelques récompenses. Dustin Guy Defa apporte néanmoins une touche particulière, une musique bien à lui qui distingue son film de la ribambelle de mumblecores indépendants américains. Ainsi, par exemple, la dite forfaiture de Ray, l’ami de Bene : pourtant très visuelle, on ne la voit à aucun moment dans le film. Ce traitement elliptique est assez présent dans le métrage. Ce qui importe au réalisateur, ce sont les sentiments qu’elle provoque chez toutes les personnes qui sont concernées par l’affaire, et surtout les effets qu’elle a sur leurs relations inter-personnelles pas évidentes. Les objets, voire les faits disparaissent, pour laisser place nette à l’intime des personnages, sans pour autant en faire un film austère réservé aux cinéphiles les plus passionnés. Car le film est très drôle, et là encore, on a l’impression que ce sont les personnages qui nous font rire, et pas tellement les situations ; ce sont leurs réactions par rapport à ces situations qui sont hilarantes et auxquelles le spectateur s’identifie pleinement.


Manhattan Stories, tourné en 16 mm, ce qui lui donne ce grain particulier très 70’s, est un film qui pourrait propulser Dustin Guy Defa vers la cour des grands cinéastes indépendants américains, tel le Noah Baumbach de Greenberg ou de Frances Ha pour son affiliation la plus proche. Un cinéaste à suivre…


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Bea_Dls
7
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le 23 mai 2018

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Bea Dls

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