Zack Snyder est-il un incompris ? par Antoine ESCURAS

Ça fait un petit moment que ça dure. La sortie de chaque film de Zach Snyder est entourée d’un léger parfum de polémique. Le débat dépasse largement la conception qu’on peut se faire du "film qui ne laisse pas indifférent" censé scinder en deux clans distincts les "j’aime" et les "j’aime pas". Les partisans du bonhomme sont gentiment priés de la fermer, eux qui ont déjà l’outrecuidance d’apprécier un réalisateur qui confond 7ème Art et jeu vidéo, un va-t-en-guerre à l’esthétique et à l’idéologie exhibant bien trop complaisamment de supposées fascinations fascisantes.

J’exagère (à peine). Et il est vrai que si Zach Snyder n’a pas toujours mauvaise presse, l’opinion publique est rarement en sa faveur. C’était pourtant plutôt bien parti. L’Armée des Morts, premier film de ce fils prodige de la publicité, avait réussi à contenter les fans du genre, les puristes de Romero et le grand public. Il a démocratisé le motif du zombie auprès du grand public, et légitimé l’horreur auprès des studios comme pouvant être plus qu’un simple produit de niche. 300, son seul mauvais film à ce jour, mettait en lumière sa face obscure, que ce soit du point de vue de la forme (une fidélité plus que maniaque au graphic novel d’origine) que du fond (un premier degré certain et un goût pour les beaux corps huilés qui ferait sortir de ses gonds même le moins rageur des gardiens de la bien-pensance).
Watchmen, en revanche, s’imposa comme la réussite en négatif de 300, réussissant partout où son prédécesseur avait échoué, adaptant avec autant de fidélité que de brio la trame narrative du matériau d’origine. Politiquement, Snyder, étiqueté républicain en sa contrée, ne détourne pas la charge anticapitaliste du graphic novel, renforçant même la force de son uchronie en invoquant Bob Dylan, Nixon et des préoccupations on ne peut plus contemporaine.

Snyder est-il vraiment un idéologue ? Se dilue-t-il dans ses adaptations ? Facho gaucho ou anar de droite ? Dans le labyrinthe de sa vision du monde, Sucker Punch propose une porte de sortie. Son premier travail original propose un maelstrom d’idées et de mouvements saisissant, fluide et inventif dans sa narration, mû par un réseau d’influences bien mieux digérées que dans le premier Tarantino venu. Premier grand geste de cinéaste courageux et intransigeant qui signera aussi son premier grand désamour public et critique. Dans le rayon des grands formalistes, et à ce niveau d’incompréhension, on ne voit que les frères Wachowski.

Arrive donc Man of Steel. Si Sucker Punch était le premier film de Snyder qui ne s’inspirait pas d’un travail pré-existant, cette nouvelle resucée du mythe de Superman s’avère être la première œuvre dont il n’est pas l’initiateur. On se souvient que c’est Snyder qui avait convaincu les pontes de la Warner d’adapter 300, graphic novel réputé mais loin d’être bankable. Il avait défendu que le style visuel de son film, son story-board et même son montage, était déjà là entre les pages et les cases de l’illustré. Ici, Snyder réalise un pur film de commande. Les frères Nolan et la Warner, enorgueillis par le triomphe de la trilogie Dark Knight, décident donc très logiquement d’appliquer le traitement Batman à l’autre tête de gondole de l’univers DC Comics, l’Homme de Fer. Au programme, bien sûr, tout ce qui a fait le succès des aventures du Cape Cruisader version Nolan : un script défiant la chronologie et une remise à plat des enjeux du comic. Métaphores post-11 septembre de mise et esprit pop aux oubliettes. Comme le premier degré, ça le connait, on déterre le 06 de Snyder, en disgrâce depuis le monumental bide de Sucker Punch et on lui file les clés d’un tentpole movie à 250 millions de dollars.

Man of Steel fait partie de cette rare catégorie de films aux défauts très évidents et qui s’avèrent pourtant impossible à détester. Votre serviteur, pour sa part, est fol amoureux de la partition de Snyder et s’efforcera pourtant au sein de cette critique d’en souligner les tares. La cinéphilie (ou l’amour de la castagne en iMax, à voir) est parfois pleine de paradoxes.

Un peu comme notre héros à cape rouge, le film est un peu l’enfant de deux mondes, un bâtard coincé entre deux univers irréconciliables. A ma gauche, la fratrie Nolan, et leur associé David S. Goyer, livre un script recyclant tous leurs vieux trucs comme les traumas d’enfance embarrassants ou le climax maousse qui te phagocyte facile les trois-quarts du métrage. À ma gauche, ce bon vieux Snyder, qui a la joyeuse tendance de ne jamais y repenser à deux fois dès qu’il a l’occasion de faire un plan stylé ou de proposer une vision apocalyptique digne de John Martin. L’association des deux avait sur le papier tout pour exciter n’importe quel cinéphile. Finalement, force est de reconnaître que tout ne fonctionne pas. Batman Begins, par exemple, puisait son inspiration dans une veine beaucoup plus dark du comic, datant des années 80. Le grand public ne connaissait pas. L’effet de surprise résidait là. Les origines de Superman sont, elles, connues de tous. L’exil de Krypton. L’adoption par la famille Kent. La Forteresse de la Solitude. Malgré quelques variantes roublardes, le film ne se détache pas de ce programme. On a plutôt l’impression d’assister à une énième origin story dont l’ordre des scènes aurait été changé, un peu au petit bonheur la chance, pour faire moderne. Du Nolan Light.

À l’issue de la projection, l’idée prend vie dans votre esprit. Elle germe, éclot et ne peut plus se défaire de vous : c’est la faute de Christopher Nolan. Ou par extension du scénariste attitré de la trilogie Batman : David S. Goyer. Chaque défaut, chaque scorie semble être de leur fait, faisant écho aux détails les plus crispants de leurs films précédents. Comme, au hasard, cette incapacité à donner corps au moindre personnage, sorti du petit trio de têtes d’affiche. Christopher Meloni, grand acteur de télévision, aurait pu être inoubliable en caporal rigide et intransigeant. Mais à le voir desservi par une ribambelle de répliques d’une rare fadeur ("this man is not our enemy"), c’est à peine si on se souvient de sa prestation à la fin de la séance. Ou cet aveu de faiblesse scénaristique absolu : adopter le point de vue du staff rédactionnel du Daily Planet, très peu exploité en amont, pour donner un contrepoint "mortel" aux pyrotechnies mythologiques finales et ainsi exploiter pleinement l’analogie du 11 septembre. Un parallèle de ce type, même s’il peut toujours s’avérer intéressant car puissant et évocateur dramatiquement pour le spectateur, prend de plus en plus dans le corpus du cinéma nolanien des atours de fixettes un peu vaines et fatigantes.

Il est parfois très tentant de se lever de son siège et de s’écrier "mais laissez donc ce pauvre homme faire son film tranquille". Ce très sympathique Zach Snyder qui déploie un univers visuel irrésistible. Qui a le courage d’ouvrir son Superman par un imposant et fastueux prologue, renvoyant, au passage, comme si de rien n’était le wannabe démiurge James Cameron à son univers d’Avatar en carton. Il jouit aussi d’un talent (que Christopher Nolan trop occupé à singer vainement l’intellectuel) n’a jamais réussi à maîtriser : la science de l’instant de grâce. Snyder est un cinéaste d’une autre trempe, un technicien fabuleux et un rêveur accompli. Il est de ces über-geeks (avec Sam Raimi, Peter Jackson ou même plus récemment Joss Whedon, avec The Avengers) qui savent construire de magnifiques moments de cinéma au sein de machineries lourdes et, pour beaucoup, intimidantes. Chaque dialogue entre le jeune Clark et ses parents adoptifs, tentant de lui faire accepter sa nature d’outcast, est bouleversant. Les combats sont d’une ampleur telle que le médium de l’écriture aura grande difficulté à les retranscrire. Ça vole, ça court, ça tape, dans des proportions si délirantes, que la perspective d’une surenchère de spectaculaire concernant une éventuelle séquelle semble relever de l’impossible. Henry Cavill est le meilleur Superman à ce jour. Le seul à pleinement incarner la douceur et la noblesse d’un personnage autrement plus complexe qu’il n’y parait. Rien de moins.

C’est aussi avec ce qu’on pourrait qualifier comme une certaine forme de modestie (voire d’élégance) que Snyder finit par ne se focaliser sur aucun élément moral ou motif particulier. Contrairement à un Bryan Singer, qui avec son Superman Returns pourtant pétri de bonnes intentions, semblait jouir à chaque plan de sa capacité à surligner la parabole christique de son récit, Zach Snyder ne cherche pas à prouver outre mesure que le parcours du super-héros offre des résonances mythologiques, philosophiques, psychanalytiques, politiques ou religieuses. Celles-là ont déjà été exploitées par plus de dix années effrénées d’adaptation de comics tous azimuts. Ici, les dialogues balaient ces considérations d’un revers de la main : comme il le dit lui-même, Kal-El "[a] grandi dans le Kansas, on ne fait pas plus américain". Comme le Christ, il a bel et bien 33 ans. Il s’enquille La République de Platon à même pas 15 ans. Cela ne va pas plus loin. Tout est déjà là, à l’origine. Reste à filmer le parcours d’un jeune garçon inadapté et brillant, déchiré entre un héritage disparu et un monde adoptif qui n’ont en commun que leur agressivité. Mission que Snyder, en excellent faiseur d’image et grand storyteller, remplit avec brio.

En ne transigeant jamais avec son désir d’universalité, il élabore un tissu d’influences parfaitement digérées, une myriade de clins d’œil dans un domaine où l’intertextualité est toujours la bienvenue, car souvent trop rare. On pense aux récoltes humaines de Matrix. Snyder a certainement vu Take Shelter de Jeff Nichols – à qui il a emprunté le prodigieux Michael Shannon d’ailleurs. Malick n’est jamais bien loin, aussi. Il y a ces snap zooms, qui sont légion dans la SF contemporaine depuis qu’ils ont été introduit et démocratisé par l’immense Battlestar Galactica. Cette grande série, de la chaine cablée américaine SyFy, dialogue d’ailleurs volontiers avec Man of Steel de manière plus qu’intéressante (il ne serait pas étonnant que Snyder soit fan). Les deux œuvres partagent quelques seconds rôles et cette vision à la fois enchantée et apocalyptique du space opera, fortement travaillée par les thèmes de l’exil et du vivre-ensemble.

Snyder n’est pas un cinéaste parfait, mais il a rarement été aussi passionnant. Man of Steel est un champ de bataille où semble s’affronter deux visions antagonistes de ce que doit être un grand blockbuster contemporain. On est en droit de continuer à croire en la toute-puissance d’un bon réalisateur, car Zach Snyder a gagné. Malgré les scories, les chausse-trappes, Man of Steel se révèle être une splendeur. Un Space Mountain visuel revigorant opposant au Batman sécuritaire et néo-capitaliste de Nolan un Superman plus pur et universaliste que jamais. Batman, vigilant névrosé et réac. Mais Superman, prophète vigilant tendance socialo. Quand on y pense, il en a toujours été ainsi. Le Snyderisme est-il donc un humanisme ? Diluable et métamorphe, selon le matériau auquel le réalisateur choisit de se frotter ? Est-il un Auteur ? Man of Steel produit des éléments de réponse, mais installe surtout le cinéaste comme un grand esthète. Si Nolan est le chantre d’un fond stabiloté servi par une forme plate habilement relevée par l’art du montage, Snyder privilégiera toujours la surface, l’image bien composée, le son en 7.1, pour finalement proposer en creux une vision utopique ou désespérée, au choix, de notre réalité. Il est le Michael Bay du riche.

Les choses sont donc claires, et sa vision du cinéma, ainsi exposée, ne pourra définitivement pas plaire à tout le monde. Zach Snyder restera probablement pour le plus grand nombre à l’image du demi-dieu de son film, auquel il semble tant s’identifier : un mec aux talents bluffants, mais quand même un peu flippant. C’est de bonne guerre. On peut ne pas l’aimer. Mais il sera toujours intéressant de se poser la question : le déteste-t-on seulement pour les bonnes raisons ?
Antoinescuras
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le 14 nov. 2013

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