L'actualité cinoche récente me laisse songeur. Zack Snyder, que je considère comme un fossoyeur de la culture pop, une incarnation du mauvais goût qui se prend à la fois pour Kubrick et Leni Riefenstahl, a sorti un director's cut aberrant de 4h (putain 4h!) de Justice League, soutenu par les pressions et les hashtags de millions de fans. Et ça cartonne. Triomphe public, mais aussi (c'est là que ça me perturbe) triomphe critique.

On y est. Le cinéma hollywoodien en est réduit à un concours de bite entre Joss Whedon et Snyder, dans un monde où les suites de suites de suites de franchises rincées de décennies révolues constituent l'essentiel des cartons au box-office, de Fast&Furious aux Marvel en passant par les remakes de classiques Disney tournés en Chine à une heure de route des camps de Ouïghours. Franchisation jusqu'à l'absurde, rétention et segmentation du marché, aseptisation généralisée, big data au service de synopsis qui ressemblent de plus en plus à des agglomérats des derniers hashtags à la mode: situation excellente, j'attaque, dirait le maréchal Foch. MCUniverse d'un côté, DCVerse pour les autres, talonnés par les non moins consternants MonsterVerse et autres Dark Universe... Choisit ton camp camarade dans ce multivers cauchemardesque qui collerait une dépression à Giordano Bruno. Choisit ton camp dans cette idiocratie hégémonique qu'on ne peut même plus qualifier de rampante puisqu'elle s'est installée solidement dans les esprits, perdus que nous sommes dans les ricanements de la post-modernité. Accroc à la dope, convaincu que les algorithmes de l'industrie hollywoodienne sont ses potes, le public subit un viol culturel mois après mois la bouche en coeur. On lui piétine, dénature et trahit ses mythes, ses histoires, ses rêves, ses références. Créatures majestueuses et iconiques, King Kong et Godzilla sont devenus de gros mâles alpha teubés qui se rentrent dedans tels Vin Diesel et The Rock dans F&F5. Nouveaux dieux bibliques pourtant ancrés dans leur époque, Captain America et ses potes sont devenus des instagrameurs cons comme des surfeurs. Les marveleries s'enchainent, bouse après bouse, et on en redemande, trépignant comme des gosses au moment de la scène post-crédits, dans l'espoir vain -limite millénariste- que le prochain opus sera un meilleur film. Les producteurs sont moins préoccupés par la cohérence des scénarios que par l'alignement de caméos communautaires à l'écran, et tout le monde s'en fout. Pour certains, faire en sorte qu'un blockbuster à 250M de dollars rapporte de l'argent est devenu une cause à défendre. La Boétie s'en arracherait les cheveux. Comme même l'élite intellectuelle n'a plus les bases, tout le monde tombe dans le panneau: pour France Culture, Avengers est comparable à La Comédie Humaine et aux opéras wagnériens.
Quand on voit le niveau aujourd'hui, ça fait tout drôle de se dire qu'il y a 30 piges les blockbusters de l'été pouvaient relever de la fable ultra-stylisée sur la condition humaine, ou encore d'une fusion drolatique et évocatrice entre le mythe de Frankenstein et Charlie Chaplin.
Ce constat posé, analysons cette purge de plus près.

Alors quoi? Aurais-je loupé un truc? Le tâcheron qui a pondu Sucker Punch, Batman V Superman, 300, putain, 300, l'adaptation gutturale et au ralenti de la BD hardcore limite facho de Frank Miller, qu'il a dénaturé dans tous les sens pour en faire un nanar sérieux comme la pluie, à la gloire du sang numérique et des torses glabres de spartiates revisités tendance Tahiti douche; cet homme là serait donc autre chose qu'un débilos de l'industrie pris un peu trop au sérieux par des hordes d'ados dont l'horizon culturel consiste en des bidons de lessive Marvel et des séries Netflix sur la sexualité des teenagers? Zack Snyder serait-il en fait le digne héritier de Spielberg, un nouveau maître réhabilité de l'entertainment à grand spectacle? Je me jette alors sur les quelques Snyder auxquels je n'ait jusqu'alors pas accordé un visionnage, pressé d'en avoir le coeur net avec ce reboot du super-héros le plus emblématique au monde mais aussi le plus casse-gueule.

Eh bien, c'est à la fois très simple et très compliqué.

Posons d'abord que l'univers Superman, je m'en tape. Je ne sais même pas si j'ai vu les films de Richard Donner. Peut être quand j'avais 12ans, c'est dire. Je me plonge dans Man of Steel vierge de tout background ou de tout fétichisme envers ce personnage.

Crevons l'abcès. Man of Steel est un film insipide dont le niveau de pose crâneuse et le ton pompier sont proportionnels à sa stupidité maladive, et dont la bande-son totalitaire, assourdissante et abrutissante de Hans Zimmer n'est que le moindre des défauts. Ce Superman est si tocard qu'on dirait un chez d'oeuvre d'art moderne. Ah, pauvre grand dadais de Superman dont l'essentiel du ressort dramatique consistera à, tenez vous bien: sauver sa gonzesseuheuheuh... à peu près une demi douzaine de fois.

Le film démarre. Alors comment dire. Superman, c'est pas évident. Il s'agit de faire accepter au spectateur un culturiste en collant bleu et rouge qui va sauver le monde. Pas évident, mais rien d'impossible. D'autres ont bien réussi à rendre iconique un samouraï du futur qui se bat avec un tube de néon dans une galaxie lointaine, très lointaine. Las: ici, mythologie, contexte et lore sont balancés n'importe comment. Clairement, on est pas dans Mad Max. Dialogues consternants, ça frôle constamment le téléfilm fantastique du mercredi aprèm pour enfants non-désirés. C'est absolument indigeste et ça se permet en plus d'être incompréhensible. On est ballotés d'une scène de dialogue explicative à une autre, pour du flan en plus, parce que tu comprends il faut en tartiner des caisses pour exposer pendant 15mn ce qui fondamentalement n'est jamais que la fin du générique de Il Etait une Fois l'Homme. Direction artistique à vomir. C'est grisâtre, poussiéreux et triste comme un jour sans pain. Le tout baigne dans une photo métallique désaturée galvaudée, pour se la jouer sombre/ténébreux alors que cela ne fait que donner au film un look de clip emo-rock. Les kryptoniens y débitent leurs dialogues de teletubbies, engoncés dans des armures pas possibles toutes droites sorties de Battlefield Earth, qui leurs donnent un air vaguement obèse. Man of Steel se croit visiblement profond, nietzschéen et ténébreux, mais il ne fait que s'enfoncer dans une bêtise crasse de scène en scène. Les personnages sont unanimement teubés, du héros en titre à Loïs Lane jusqu'aux militaires qui envoient les avions défoncer le centre-ville de Métropolis alors que la population n'est pas évacuée. On te répète 20 fois que Superman est le Messie, qu'il est le Sauveur, on te l'iconise dans des postures christiques n'importe comment, n'importe quand, parce que tu comprend ma bonne dame: les super-héros, ça veut rien dire. Et puis les spectateurs sont bêtes, alors il faut tout appuyer, tout surligner, tu piges. C'est du même niveau que le Buisson Ardent personnifié dans l'atroce Exodus de Ridley B. DeMille Scott. Man of Steel, ce n'est pas seulement la mort du fun (le film a la légèreté d'un troupeau de brachiosaures jouant à une partie de Twister). C'est aussi la mort de la fiction, de l'imaginaire, du symbolique.

Aucun sens du drame, de l'émotion, de l'impact et de l'équilibre. Le crescendo émotionnel, c'est pour les chiens. Les types ont vu la charge de Gandalf au gouffre de Helm et se sont dit qu'on devrait faire tout un film sur cette tonalité, parce que pourquoi pas. J'ai eu l'impression de regarder le climax d'un film épique, mais TOUT le temps du métrage. Sorte d'interminable money shot, le film n'est qu'une longue bande-annonce de 2h20. Tout est au même niveau, tout est aplati, rien ne ressort. On se fout du pugilat final entre Superman et Zod comme de sa première pipe. L'invincibilité des deux belligérants ne fait jamais aucun doute. Imaginez donc une baston dans Asterix, mais sans l'humour. On se demande bien ce qui justifie, d'ailleurs, que le bad guy soit finalement occis d'une simple prise d'étranglement alors que 20 secondes avant ils en étaient encore à se balancer des bourre-pifs à grands coups de poutres en fer et de bagnoles dans la tronche sans que ça ne les fasse cligner des yeux. Superman a beau passer à travers des immeubles entiers, éventrer des montagnes et plonger tout droit dans des explosions comme un gros débile, son costume n'est jamais ne serait-ce que éraflé ou filé. Dans Arkham City, la cape de Batman n'était plus qu'un souvenir en lambeaux au bout de quelques heures de jeu. Tu sentais la douleur, tu sentais la puissance des coups. Ici, on ne ressent rien. Un blockbuster à 250 millions de dollars échoue là où des séries Z fauchées comme pas possible ont réussi.

Les enjeux sont exposés n'importe comment. Le scénario relève d'un pifomètre pur et simple. Un exemple? Voici comment Clark Kent découvre son passé et son costume iconique. Alors qu'il est jeune serveur dans un bar, il surprend par hasard une conversation de militaires en permission: on a découvert un objet étrange dans la glace du pôle nord, l'armée est sur place, bla bla bla. Air soucieux et concerné du héros. Raccord suivant: Clark Kent est au pôle nord (parce que fuck it), et il tombe comme ça, pouf, sur cet objet qui est... Un immense vaisseau kryptonien, qui ressemble à un tunnel de métro et qui contient l'esprit de son père lui expliquant tout le bazar tel un Obi Wan Kenobi du pauvre, puis qui lui remet sa cape de superman, et roule ma poule. Et c'est ainsi que Clark Kent, serveur de mojitos à temps partiel, devient superman par le plus grand des hasards. C'est... effarant, et tout est à l'avenant. Je ne parle même pas du passage où on vous explique de manière rationnelle pourquoi Superman est si fort, grâce à la différence entre les atmosphères de la Terre et bla bla bla: je n'ai pas vu plus ridicule et vain depuis les midichloriens de la prélogie Star Wars censés expliquer pourquoi la Force existe. Man of Steel, c'est un prototype de Teubésploitation. Un film teubé, fait par des teubés, pour des teubés.

De la même manière, la mort du père adoptif (est-il seulement nommé à un moment?), qui se sacrifie pour que Clark Kent ne dévoile pas son pouvoir surnaturel à l'humanité en le sauvant: pourquoi pas, même si l'idée du super-héros défaillant ou ne pouvant utiliser ses pouvoirs, ça n'a rien d'inédit. Mais qu'est-ce qu'on s'en branle, vu que de toute façon Clark Kent va renfiler son moule-bite 20mn plus tard et détruire la moitié de Métropolis aux yeux et au su de toute la planète. D'ailleurs, la mort du père ne semble pas l'affecter plus que ça. Dans sa scène suivante, on le voit tout sourire qui rend visite à sa mère, puis qui regarde un match de foot américain à la télé en tétant une binouse. Aucun deuil, aucun trauma. Montage en dépit du bon sens, ou incapacité à humaniser son récit? Les deux mon capitaine.

La palme du ridicule coincé dans ses certitudes revient sans doute au face à face entre Superman et Loïs qui mate son costume:
"-ça veut dire quoi, le S?.
-ce n'est pas un S. Dans mon peuple, c'est un symbole qui signifie Espoir."

...

Non mais vous imaginez la même scène dans un Zorro?
"-ça veut dire quoi, le Z que tu traces à l'épée sur tes ennemis?
-ce n'est pas un Z. De là d'où j'viens, c'est un symbole qui désigne l'ensemble des nombre entiers relatifs, et..."
MAIS DEBROUSSAILLE TES GRANDS MORTS WESH.

Bordel de pompe à queue. Toute la schizophrénie et la vacuité poseuse de ce monstre bicéphale qu'est ce film est résumée dans cet échange. Les mecs n'assument pas le côté fun et outrancier du personnage originel, de son pseudo kitschos et de son costume moule-bite aux couleurs criardes (mais à ce moment là, pourquoi faire un film Superman?). Pourtant ils veulent qu'il porte le même moule-bite, avec le même logo égotrip débile et la même cape rouge à la con. Ils essaient d'appliquer un sens nouveau et pseudo-poétique sur un détail alakon qui n'aurait jamais prétendu en avoir à la base, de sens. Man of Steel se viande, là où Les Indestructibles avaient tout compris. Man of Steel est abscons, là où Pacific Rim jouait de sa seule suspension d'incrédulité pour faire admettre ses monstres géants et ses robots géants dès sa scène d'ouverture; parce que pourquoi des monstres géants et des des robots géants? Parce que.

On notera d'ailleurs que le nom de Superman n'est prononcé qu'une seule fois, et par un simple figurant qui plus est, sur le ton de la blagounette. Comme une manière là encore de ne pas assumer son identité, une volonté chimérique de la remplacer par... autre chose. Mais quoi?

Devant ce spectacle affligeant de deux teubés qui broient une ville entière sans réussir à se faire un tout petit peu mal ni susciter la moindre émotion du type "ah tiens, au moins ce plan là je ne l'ai pas déjà vu 36 milliards de fois dans 36 milliards de Transformers à la con", il ne me reste qu'un constat: j'aurais mieux fait de regarder un combat de catch. Le catch, c'est pareil, c'est des cubes qui se rentrent dedans en hurlant. Mais au moins le catch c'est rigolo, c'est graveleux, c'est bigger than life, c'est un vrai spectacle populaire avec des types aux trognes pas possibles qui ont des costumes colorés et cool, des jingles à base de hard-rock savoureusement élimé, et un éventail de prises réellement impressionnantes. Au moins les mecs ne se prennent pas pour des philosophes du dimanche et ils se font un tout petit peu mal, quoi. Autre option: partir directement dans le gros Z qui tâche à la Hitman&Bodyguard, car même si c'est filmé avec des moufles, au moins la baston contre le colosse increvable est franchement drôle.
Ou alors, ressortez vos The Witcher, vos Monster Hunter, vos Zelda; puisqu'il n'y a plus que dans le jeu vidéo, visiblement, que des gens créent et racontent encore avec sérieux, amour et intelligence, des récits épiques et mythologiques. C'est à propos de ces oeuvres que France Culture aurait pu sortir les grandes comparaisons avec Homère et Wagner, mais là bizarrement, silence radio.

Vous vous rappelez, quand j'ai dit que c'est à la fois très simple et très compliqué? J'ai menti. C'est juste très simple. D'une stupidité extrêmement simple. C'est absolument irregardable et indéfendable. La vie de ma mère, gageons que Man of Steel, Justice League, tous ces pâtés numériques aliénants, seront vite rendus obsolètes avec l'âge et deviendront aux yeux du public ce qu'ils sont réellement, passé l'aveuglement actuel: à savoir, des Hercule à New York, avec un melon cosmique et 100 fois plus de thunes, et c'est tout. En attendant, des hordes de fanatiques ont déjà lancé sur Twitter un hashtag pour obtenir un director's cut du non moins irregardable Suicide Squad. Le jour où ils regarderont un vrai film, ça leur fera tout drôle.

Biggus-Dickus
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le 21 juin 2022

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