La carrière en dent de scie de Zack Snyder n'a pas effrayé les studios Warner et les producteurs Nolan pour lui confier les rênes du reboot de Superman. Découvert grâce au remake honorable de Zombie de G.A. Romero intitulé L'armée des morts, et reconnu mondialement auprès du grand public grâce aux adaptations de 300, divertissement correct, et des Watchmen, apprécié par les cinéphiles et les amateurs de la BD d'Alan Moore. S'il faut reconnaître à Snyder sa capacité à se plier avec brio aux contraintes de l'adaptation cinématographique, l'homme est moins doué en revanche lorsqu'il s'agit de scénarios originaux comme en atteste l'échec commercial et critique de Sucker Punch qui avait pourtant les moyens pour être un blockbuster moins chaotique et plus intelligent. Normal alors que les Nolan, auréolés du succès de la trilogie Dark Knight/Batman, aient fait appel à ce cinéaste à l'esthétique si particulière qui divise d'ailleurs toujours autant les spectateurs. Et pour éviter de perdre le contrôle, l'équipe de la trilogie The Dark Knight conserve une mainmise du côté de la production. Léger euphémisme qu'oser dire que Christopher Nolan se présente très certainement comme le cinéaste le plus influent à l'heure actuelle. Sa vision de Batman couronné de succès et son approche sombre et réaliste sur sa trilogie ont crée un nouveau modèle de film standardisé. Warner compte bien surfer sur le succès de la trilogie du chevalier noir en validant d'autres métrages dédiés aux divers personnages de la maison d'édition DC Comics et éventuellement s'atteler à démarrer la Justice League, la seule capable de détrôner les Avengers de Marvel. Après l'adaptation plus que dispensable de Bryan Singer en 2006 (Superman Returns), il n'aura fallu que sept ans pour revoir Kal-El/Clark Kent dans les salles de cinéma. Et quoi de mieux que de repartir à zéro, laissant de côté Brandon Routh et Singer (désormais occupé sur ses X-Men), que de réaliser un opus fondé sur les origines du mythe kryptonien, à l'instar de Batman Begins.

Reprendre l'origine de Superman et l'ancrer dans un monde contemporain et réaliste, tel est le créneau de ce Man of Steel. La patte de Christopher Nolan et de sa femme Emma se ressent sur le long-métrage tant celui-ci dégage une image proche du standard initié sur la trilogie Batman et surtout de son héros qui n'est ni parfait (il doit maîtriser ses pulsions de violence) ni mauvais (il désire malgré tout protéger sa terre d'accueil). Sa planète natale est en proie à la guerre et la destruction semble imminente. Kal-El reste le dernier espoir pour sauver la vision idéaliste de son père Jor-El à l'encontre du peuple kryptonien. Une introduction très science-fiction qui donnerait presque envie d'en apprendre plus sur Krypton et sur la caractéristiques de cette planète, notamment ces incursions de la faune, des éléments florales et des capacités technologiques. A partir de là, l'intrigue oscille entre la recherche de son passé pour Superman et des flashbacks qui dévoilent l'enfance difficile de Clark Kent, maltraité moralement, esseulé et laissé de côté. L'un des nombreux soucis du film repose sur ces ellipses temporels qui font oublier la notion de transition au sein du film au profit de coupures nettes, étonnantes pour une production de ce type. Outre cela, ce Man of Steel est le seul à même de confirmer toute la surpuissance colossale qui était attendue de Superman. Un pouvoir et une force immense se dégagent d'Henry Cavill à même de représenter de la manière la plus épique possible la vision de ce super-héros dans cet environnement contemporain.

Henry Cavil justement, son visage de beau-gosse, ses cheveux gominés et son imposante carrure physique font de cet acteur le meilleur et le plus à même d'interpréter ce personnage mythique. Si celui-ci a pu être la cible de reproches sur son jeu trop plat, trop lisse, il faut à l'inverse reconnaître que Superman aussi bien dans le comic que dans le dessin-animé n'a jamais été extrêmement charismatique, drôle ou séducteur. Henry Cavill est la représentation fidèle du mythe de l'héros américain, censé être irréprochable et propre sur le plan moral et physique. Il incarne cet idéal de l'espoir, dont tout l'enjeu dramatique du film tourne autour de cette notion pour vaincre cet ennemi de l'extérieur. Un ennemi incarné de manière pas aussi manichéenne qu'attendu (et heureusement), en la personne de Michael Shannon, l'un des acteurs les plus formidables de ces dernières années. Son envolée médiatique grâce au chef d'oeuvre Take Shelter (Jeff Nichols, 2012) en fait un acteur à suivre d'encore plus près. Il incarne de manière subtile et convaincue ce général Zod, pas l'ultra-méchant aveuglé par une stupide volonté de détruire la Terre mais un personnage complexe qui tient à protéger et à faire perdurer l'existence de son peuple dans l'univers. Superman est paradoxalement le seul espoir pour conclure son plan, mais la Terre lui apparaît comme allant à l'encontre de son idéal alors que cette dernière se retrouve malgré elle le terrain de combat de cette guerre inattendue.

De par cet ennemi, proche d'un terroriste, Man of Steel et le cinéma américain en général confirment et font persister cette image de la peur du terrorisme, la crainte de l'extérieur/de l'inconnu, l'inquiétude à l'encontre de ce Général Zod et de ses disciples qui souhaitent raser ce territoire pour servir leurs propres intérêts. Les vidéos pirates de Zod à la télévision renvoient à ces images de Ben Laden dans une grotte, mettant à l'épreuve le gouvernement américain. La destruction de la ville à la fin du long-métrage nous renvoie 12 ans en arrière, le 11 septembre 2001, lorsque les bâtiments s'écroulaient et les citoyens désorientés tentaient désespérément de fuir. Et ce final où le héros s'élève au milieu des cendres et des débris d'immeubles, c'est vers l'image de ces courageux pompiers que le film se tourne lorsque les médias relayaient des vidéos montrant les soldats du feu s'extirpant de ces débris et construisant une solidarité sans faille qui allait faire renaître le pays de ces cendres, comme Superman l'a fait. Une représentation à peine voilée de ce patriotisme américain et de cet élan de solidarité qui naît lorsque la race humaine se retrouve en danger. Pas aussi dégoulinant de patriotisme qu'un Roland Emmerich, mais juste ce qu'il faut pour se laisser prendre au jeu des frissons lorsque la vie des individus est en danger et que seul une chose, un objet, un homme peut les sauver. D'ailleurs, de par son côté beaucoup plus grand public que la trilogie nolanienne, Man of Steel surprend avec l'implantation narrative de certains éléments tragiques (même si suggérés) qui implantent pleinement l'intrigue de ce nouveau Superman dans un monde où tout n'est pas rose et où les pertes humaines existent. La destruction de la ville extrêmement controversée, en raison de l'opposition qu'elle établit avec le personnage pacifiste de Superman ne surprend pas et représente davantage la force destructrice des kryptoniens et du combat intergalactique qui se prépare lentement, en attendant Lex Luthor.

Du côté de la mise en scène, Man of Steel est effectivement représentatif de la patte de Zack Snyder. Ses ralentis esthétiques (bien moins nombreux que dans ses précédents métrages), cette overdose d'effets numériques moins agressifs (plus perfectionnés?) qu'à l'accoutumée mais surtout ces zooms vifs et prolongés sur des parties précises de l'action. Une mise en scène qui fait ses preuves et qui change du format habituel du blockbuster. Snyder s'est vu reproché dans de nombreux médias de s'être laissé aller à des élans malickiens lorsqu'il filme certaines scènes dans les champs ou avec la mère de Clark Kent. A nouveau, son approche permet de casser les codes du blockbuster et tend vers un peu plus de contemplation sans pour autant oublier les attentes premières du grand public. Car effectivement, Man of Steel est un film explosivement frénétique. De la séquence d'introduction où la planète Krypton est en pleine guerre spatiale impressionnante jusqu'à cette dernière demi-heure où la rétine en prend pour son grade tant le rythme monte crescendo pour atteindre un niveau visuel d'une folie époustouflante. Man of Steel apparaît clairement comme une vitrine technologique pour ceux qui doutaient du perfectionnement des effets spéciaux d'aujourd'hui. Un niveau de réalisme cinglant qui mérite d'être vu rien que pour cela !

Si ce Man of Steel est un excellent divertissement, aidé par des scènes d'actions dantesques et une composition d'Hans Zimmer comme toujours épique, Man of Steel montre rapidement ses défauts techniques mais également des erreurs de parcours sur le plan narratif. Derrière le scénario, il y a Christopher et son frère Jonathan Nolan mais également l'habitué David S. Goyer, dont la notoriété a explosé depuis The Dark Knight. Il est vrai que dans ce dernier, le scénario était surprenant et semblait totalement invraisemblable pour un blockbuster de ce calibre. Pour autant, ses intrigues ne franchissent pas le seuil du compréhensible-standard, et l'ensemble de ses productions se résument à des scénarios pas aussi construits que l'image et l'influence de son style ont donné de lui. La médiocrité de ces intrigues peuvent se voir lorsque celui-ci s'est retrouvé réalisateur du troisième volet de la saga Blade (le pire) ou lorsqu'il s'est attelé au film Unborn, une honte au cinéma d'épouvante. Tout cela pour dire que son travail n'est pas aussi perfectionné qu'il ne le sous-entend et le scénario de ce Man of Steel bien que construit ne dépasse jamais les attentes et n'entraîne son spectateur que dans les origines simplistes, voire clichées du mythe jusqu'à ce combat final où il n'est question que d'une lutte entre le bien et le mal, avec le lot d'enjeux dramatiques que cela comporte. Ainsi le scénario se laisse à nouveau aller à tuer un parent (Comment est-il possible de croire que les Nolan ont autorisé la scène de la tornade et du chien ?) pour faire comprendre conscience des responsabilités du futur sauveur de l'Humanité. A nouveau, cela troublera son combat, hésitant sur son intention de se laisser aller à la vengeance ou de punir, et donc laisser les autorités juger les crimes de Zod. Une perspective louable qui renvoie à nouveau au personnage de Batman et dont la réponse n'en sera que plus troublante. De fait, Superman ressemble donc beaucoup trop à Batman pour se démarquer. Dans l'éventualité d'un Justice League, la proximité entre les deux personnages n'en serait que trop similaire et leur relation, bien qu'amicale dans certains comics, demandent une ambivalence (The Dark Knight Returns est vivement recommandé). En espérant que la production développe davantage le personnage dans les prochains opus. Par ailleurs, toujours sur le scénario et également la mise en scène, le montage de Man of Steel est bien trop découpé. Lorsque Clark Kent revêtit le costume de Superman, il n'y a pas de scènes qui s'attardent sur cette prise du flambeau laissée vacant par le paternel biologique. Ceux qui l'auront vu ressentiront ce sentiment d'inachevé et surtout de manque au sein de l'intrigue, pour un film dont la durée est pourtant correcte pour l'exploration concrète des bases de l'univers Superman. Batman Begins contenait peut-être déjà ces quelques défauts. Tout l'enjeu du deuxième opus de Man of Steel sera donc décisif pour entreprendre une véritable critique de la tournure qu'a pris le mythe Kryptonien. Enfin, l'un des reproches que le film se prendra obligatoirement renvoie à cette image des blockbusters d'aujourd'hui, celui de ressembler trop à un blockbuster épique. Calibré de par le lot de compositions tonitruantes façon Hans Zimmer, ultra-présent dans le film, et le peu d'épaisseur des personnages secondaires, dont une famille adoptive trop similaire à Oncle Ben & Tante May de Spider-man et une Lois Lane, pas assez développée. Toutefois la notoriété du casting, composé également de Russel Crowe, Kevin Costner, Diane Lane, une Antje Traue (qui captive l'écran), Laurence Fishburne & Amy Adams confère un charme indéniable a ce reboot, plus que réussi face à celui manqué d'Amazing Spider-man.

Si d'un point de vue critique, Man of Steel peut éventuellement prêter à la discussion, surtout aux USA où le film semble beaucoup plus discuté qu'ici, il faut reconnaître que ce reboot est une adaptation clinquante, décapante, survitaminé, époustouflante et surtout très nolanienne. La direction entreprise par Warner pour ancrer les personnages DC dans un univers réel et cohérent donne à ce Man of Steel une ambition qui ne demande qu'à être exploitée dans le second opus et surtout une profondeur de champ qui sommeille mais qui peut se révéler aussi magistrale que l'a été The Dark Knight. En somme, Man of Steel est le divertissement ultra-calibré, certes, mais est également la meilleure manière actuelle de percevoir le super-héros, faible et assumé, porteur de valeur et en proie à des démons intérieurs. Un personnage complexe pas assez étayé mais qui, à n'en pas douter, va étaler l'immensité de ses capacités dans un second opus qu'il nous tarde de découvrir. Un blockbuster divertissant et approfondi, moins impressionnant qu'un opus Batman mais suffisamment épique pour assurer un excellent moment et attendre avec impatience la sortie de ce second opus. La lutte Marvel/DC Comics va être extrêmement jubilatoire à observer, tant la confrontation semble dantesque. L'industrie hollywoodienne n'en sera que plus passionnante pour les spectateurs et pour l'Histoire du cinéma contemporain, définitivement marquée par cette lutte des super-héros.

Créée

le 23 juin 2013

Modifiée

le 30 juin 2013

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Kévin List

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