Lecture sadienne et boules de geisha

Sous couvert d’un jeu de duperie où l’arnaque change constamment de propriétaire (la servante, l’héritière, le prétendant), la nouvelle œuvre de Park Chan Wook se mue en un objet filmique difficile à déchiffrer. Difficile non pas dans son intrigue, qui malgré ses nombreux retournements de situations s’avère assez ludique dans son orchestration qui arpente le genre du thriller et parfois même brillante dans son chapitrage en trois parties, tout en assimilant idéalement les enjeux moraux qui entourent ses protagonistes mais difficile dans la compréhension de la pensée de Park Chan Wook et sa position quant à ses personnages : quelle est la portée de son message.


Est-ce que Park Chan Wook est un véritable manipulateur un peu pervers qui aime les histoires un peu potaches ou un véritable cinéaste féministe qui égratigne l’imagerie sociale et érotique d’une société un brin archaïque ? Un peu des deux peut être. Un vilain défaut comme une très grande qualité. Et c’est ce qui rend Mademoiselle assez flou et intriguant dans sa finalité.


Si l’on voulait être un brin caricatural dans le jugement cinématographique, on pourrait dire que Mademoiselle est un doux mélange entre La Vie d’Adèle et Gone Girl : un film où l’imagerie sociale n’est que le théâtre des vraisemblances et des mensonges, où l’inimité entre coréens et japonais se cristallisent, où la relation entre les hommes et les femmes se fait carnassière et parodique pour voir s’acheminer un érotisme lesbien aussi torride que sensuel.


Comme à son habitude, la poésie visuelle est de mise dans cette mosaïque de plans qui s’emboitent comme une suite de tableaux tous plus luxuriants les uns que les autres. Même si le réalisateur, parfois, divague dans des mouvements de caméra chichiteux, certes stylistiques mais inutiles, Mademoiselle est un écrin esthétique rare, retranscrivant avec magie les détails des années 30 grâce à une direction artistique voluptueuse.


Comme déjà énoncé auparavant, Mademoiselle est avant tout un jeu, un récit d’escroquerie où va se mêler confusion des sentiments et ironie psychiatrique. De par son architecture où le montage et le rythme se subliment, le réalisateur donnera le point de vue de chacun de ses personnages et permettra alors de dévoiler au compte goutte ses secrets les plus sombres comme ce sordide « sous-sol ».


Tout comme dans Thirst, où la mort et l’éducation sexuelle ne font qu’un, le réalisateur amènera avec habilité et flagornerie un humour décapant assumant son aspect outrancier et sexuel comme en témoigne cette tirade chevaleresque en plein ébat « si j’avais du lait dans les seins, je vous nourrirai ». Mais à force de s’amuser, on ne sait pas trop où s’arrête les règles du jeu de ce thriller érotique aussi sadique que saphique qui ne cesse de rabattre les cartes de sa destinée.


Malgré des coups d’éclats émotionnels renversants et des envolées sincères comme celles qui voient Sookee pleurer la « tentative » de suicide d’Hideko ou la voir écorner et noyer tous les manuscrits de lectures sadiennes, Mademoiselle a du mal à se dépêtrer de son postulat manipulatoire en poupée russe pour réellement épaissir ses entournures qui délaissent la violence sanguinolente pour s’aventurer dans les affres d’une sexualité féminine débridée.


Mais l’esbroufe n’a qu’un temps notamment au regard de cette dernière séquence maline : qui derrière sa fantasmagorie gratuite, décèle le véritable visage de la victoire : la femme jouit et l’homme se meurt. Mais c’est peut-être cela la véritable portée de Mademoiselle. N’être qu’un jeu, une farce qu’il faut dépecer de son sérieux pour se laisser convaincre par son envie gigogne et jouir de ses entrailles guignolesques où le bruit des boules de geisha sonnent le glas de la vengeance au clair de lune.

Velvetman
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le 5 nov. 2016

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