Manipulations dans tous les sens...

MADEMOISELLE (17,3) (Park Chan-wook, COR, 2016, 145min) :


Ce mélodrame élégant dépeint l’histoire de Sookee, une jeune femme engagée comme servante par une richissime japonaise dans un immense manoir, au cœur de la Corée des années 30, vivant sous la coupe d’un oncle tyrannique. Park Chan-wook l’un des plus brillants réalisateur coréen, mondialement reconnu pour le monumental Old Boy (Grand Prix du jury Festival de Cannes 204), nous revient quatre ans après son malsain et gracieux Stoker (2012) en adaptant librement le cultissime roman anglais Du bout des doigts de Susan Waters paru en 2002. Le réalisateur transpose l’histoire, de l’Angleterre victorienne à la colonisation de la Corée par le Japon dans les années 30, mais garde la structure du livre, en trois parties. Cette structure scénaristique déclinant une histoire avec trois points de vue nous évoque l’illustre maître Kurosawa et le chef d’œuvre Rashomon (où une même scène de crime se décline en 4 versions différentes). La mise en scène se révèle une nouvelle fois virtuose, Park Chan-wook nous régale de sa grammaire cinématographique clinquante et flamboyante en utilisant souvent des majestueux travellings extérieures sur la nature où avant ou arrière vitesse grand V à l’intérieur du manoir, des circonvolutions circulaires, des zooms précis, des plans subjectifs caméra à l’épaule, où des cadres fixes à la profondeur de champ vertigineuse. Un récital d’élégance et de maestria pour nous conter en véritables estampes cette histoire complexe à plusieurs niveaux où les jeux de dupes parsèment le canevas de l’intrigue à multiples tiroirs. Les trois actes se déclinent avec le point de vue de la servante, on notera l’abondance de la voix off (explicative des diverses manipulations mentales), le deuxième acte par le regard de « Mademoiselle » et le troisième plus extérieur pour conclure le récit. Une structure permettant ainsi plus aisément les allers retours dans le temps et les nombreux rebondissements. Le cinéaste se sert également judicieusement du contexte historique en mêlant la langue japonaise et coréenne pour mieux distiller le rapport de classes entre les individus, n’oubliant pas de brouiller les pistes par ce dispositif habile. Park Chan-wook crée une atmosphère esthétique pour chaque scène multipliant les genres suivant les situations, passant d’un film d’arnaque, à un thriller sulfureux ou nous offrir une romance lesbienne, un long métrage hybride particulièrement raffiné. Les décors (somptueuse pièces du manoir), la reconstitution de l’époque, les étoffes sont de véritables ravissements sous la pellicule d’une beauté renversante. Le scénario retors permet au metteur en scène de nous démontrer une nouvelle fois tout son savoir-faire en matière de psychologie des personnages, mais cette fois-ci illustré avec une douceur, un raffinement et un humour très présent, d’une manière différente à son habitude même si l’on retrouve à quelques occasions son goût pour la violence viscérale. Tout au long du long métrage machiavélique se diffuse une paranoïa enveloppée par une sensualité troublante qui atteint son paroxysme lors de certaines scènes de lectures érotiques ou d’amour saphique à la photographie bien léchée, dont l’une d’elle marquera assurément l’histoire de la représentation du sexe dans le cinéma contemporain. Malgré quelques longueurs regrettables et parfois un manque d’émotions une certaine jouissance se dégage également de sentir Park Chan-wook se délecter du contexte politique où les coréens se jouent de l’ennemi et en donnant un aspect féministe à son œuvre. Un film maîtrisé jusque dans la musique au diapason, oscillant entre des envolées lyriques, symphoniques ou plus minimaliste suivant le contexte de la scène. Une trame romanesque envoûtée par les deux émouvantes actrices principales, Kim Tae-Ri et Min-Hee illuminant tour à tour de leur grâce l’image avant de nous emporter littéralement dans l’empire des sens. Par le biais de ces splendides portraits de femmes, Park Chan-wook mue son habituelle dualité entre la violence viscérale et un romantisme souvent enfouie, pour cette fois-ci nous combler davantage par une tendresse déstabilisante, une touchante foi en l’amour au cœur d’un contexte cynique et manipulateur. Venez découvrir cette nouvelle pépite où plane l’art érotique asiatique et le cinéma des maîtres Ozu et Mizoguchi vibrant à fleur d’image sur la peau de ce Mademoiselle. Intrigant, beau, brillant, troublant et précieux. Un bijou !

seb2046
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le 10 oct. 2016

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