Ce n’est une surprise pour personne, William Shakespeare est l’une des plus grandes influences de toute l’Histoire de la Littérature. C’est peu dire qu’il en a inspiré des cinéastes puisque le British Universities Film & Video Council a recensé plus de 420 adaptions cinématographiques de ses pièces, d’Othello à Richard III en passant par la relecture de Roméo et Juliette avec West Side Story. Avec Macbeth, le dramaturge anglais est à l’origine de l’une des pièces qui symbolisent le plus la tragédie de l’ascension et de la chute d’un homme. Un matériau théâtral fort qu'Orson Welles et Akira Kurosawa ont réussi à transposer au cinéma, en captant avec brio toute son ampleur. Mais nombreux sont les auteurs à s’y être cassé les dents, payant le prix d’avoir voulu flirter avec l’audace et le talent de Shakespeare. Même Roman Polanski et Béla Tarr se sont prêtés à l’exercice, en vain. Alors en ce troisième millénaire, l’une des œuvres fondamentales de Shakespeare est adaptée pour la quatrième fois au cinéma par un obscur cinéaste australien dont il s’agit seulement du deuxième long-métrage. Etait-ce nécessaire ? Oui, assurément oui. Car derrière une retranscription très textuelle de l’œuvre, Justin Kurzel fait preuve d’une vraie proposition de cinéma et offre à cette pièce une modernité insoupçonnée par le biais d’une photographie comme on en a rarement vu dans une œuvre shakespearienne. Le Macbeth de Justin Kurzel atteint la noirceur et la grandeur du texte, tout simplement.


La Croisette a un petit penchant pour Justin Kurzel, c’est certain. Macbeth a beau être son second long métrage, c’est la troisième fois que le cinéaste australien revient à Cannes. Après y avoir présenté son court métrage Blue Tongue en 2005, puis le très remarqué Les Crimes de Snowtown en 2011 à La Semaine de la Critique (Prix FIPRESCI et Mention spéciale du Jury), le réalisateur est directement propulsé dans la compétition officielle aux côtés des plus grands. Cinéaste radical, Justin Kurzel pousse toujours ses personnages dans leurs derniers retranchements et n’hésite pas à être constamment dur avec ce qu’il filme. Le sang s’y entremêle souvent aux larmes, à la poussière et la chair y est souvent mise à mal. Macbeth n’y fera pas exception. Et qui de mieux que l’impressionnant Michael Fassbender pour camper ce personnage extrême. Un excellent choix que cet acteur, après sa performance monstrueuse d’un homme rongé par le sexe dans Shame de Steve McQueen. Salué par la critique avec son premier long métrage, Justin Kurzel est rapidement contacté par la Weinstein Company pour mettre en scène cette adaptation. C’est l’implication de l’acteur germano-irlandais qui le convaincra de se lancer dans ce projet. Une collaboration assurément fructueuse puisque c’est Michael Fassbender qui a suggéré le réalisateur australien pour prendre les rênes de l’adaptation cinématographique d’Assassin’s Creed, devenant par ailleurs l’un des projets les plus excitants de 2016.


Dès les premières séquences, Justin Kurzel ne lésine pas sur les moyens et enchaîne les plans larges d’une beauté hallucinante. Les vastes paysages britanniques sont les terrains de batailles entre la Norvège et l’Ecosse. Macbeth et ses hommes se tartinent le visage de boue, devenant plus bestiaux que jamais. Du haut des plaines, des petits hommes hurlent et se battent à l’épée dans la brume. Un fils meurt et au-milieu de tout ce vacarme, un homme se tient droit, le regard perdu, amené à devenir un grand homme. Toutes les intentions de l’australien sont là. En quelques instants, il crie à qui veut l’entendre que ce Macbeth ne sera pas tendre et qu’il se jouera dans la crasse. Le cinéaste privilégie la direction artistique à la réécriture de la pièce de Shakespeare. Il ne s’en cache pas et ne cherche jamais à se démarquer du matériau originel. Ce qui l’intéresse surtout, c’est placer ce récit dans un univers radical et perfide. Prédestiné à un grand et sombre destin par trois sorcières croisées au cour d'une bataille, Macbeth apprendra rapidement que la quête du pouvoir ne peut s’effectuer qu’en faisant couler le sang de ceux qui se mettront en travers de son chemin. Charismatique meneur, ses alliés l’abandonneront progressivement, de ses plus fidèles hommes à sa femme, hantée par le remords. Justin Kurzel conserve donc les vers fort bien écrits du dramaturge anglais pour privilégier un véritable travail de mise en scène. Dès les premières minutes du film, il témoigne d’un parti-pris esthétique singulier par le biais d’une lumière ensorcelante. A plusieurs reprises, la photographie deviendrait presque outrancière tant le réalisateur pousse le style jusqu’à employer des ralentis troublants mais dispensables.


On reconnaîtra que l’ensemble du casting, qu’il soit originaire du Royaume-Uni ou non, parle dans un anglais soutenu, à l’accent bien identifiable. Il aurait été fort offensant qu’une adaptation de Shakespeare ait perdu son caractère local au profit d’une logique mondialisée. A ce petit jeu, Michael Fassbender était le candidat idéal pour interpréter ce Roi déchu, confirmant son statut de meilleur acteur de sa génération. Il a la carrure, le mental et la démence en lui pour exprimer la vaste palette d’émotions de ce personnage autodestructeur. Il incarne tour-à-tour un homme déterminé, un machiavélique stratège, un paranoïaque halluciné et un monstre humain. A ses côtés, si elle offre une merveilleuse interprétation, Marion Cotillard n’a malheureusement pas l’étoffe du rôle de Lady Macbeth, jugé comme étant l’un des rôles les plus difficiles du répertoire occidental. Non pas qu’elle soit mauvaise, bien au contraire, mais parce que l’équipe de scénaristes ne lui accorde pas le temps nécessaire pour étoffer ce personnage qui passe de la tentatrice démoniaque à l'hystérique aux tendances suicidaires en l’espace de quelques plans. Son suicide tombe presque comme un cheveu sur la soupe. C’est par le biais de Macbeth que l’on verra le corps sans vie de son épouse. Justin Kurzel est sans doute plus séduit par le personnage de Macbeth que par la démence et le remords de Lady Macbeth, pourtant tout aussi incontournable que son mari. C’est regrettable d’autant plus qu’il s’agit d’un de ces rôles qui marquent durablement une carrière et Justin Kurzel ne laisse que peu d’occasions à Marion Cotillard pour briller. Aux côtés de ce couple shakespearien, on notera également la présence d’un fort beau trio d’acteurs britanniques composé de David Thewlis, Sean Harris et Paddy Considine. Ces deux derniers sont tout simplement magistraux dans leurs rôles respectifs de Macduff et Banquo.


Si le texte est conservé et respecté, c’est donc du côté de la texture visuelle que Justin Kurzel offre une proposition de cinéma à la hauteur de la tragédie shakespearienne. Sa présence dans la compétition à Cannes n’est pas anodine. Des relectures shakespeariennes, il en sort régulièrement mais jamais elles n’avaient atteint la noirceur et la primitivité propres à la démence d’un tel homme. Le cinéaste australien ne lésine pas sur les filtres couleur, à juste titre. La destruction progressive du personnage s’accomplit en même temps que les couleurs deviennent de plus en plus explosives. La bataille finale est en ce sens un modèle de direction artistique avec des nuances d’orange déchaînées et paradoxalement envoûtantes. L’Enfer semble s’abattre à mesure que la bataille fait rage. A cet instant, Macbeth et Macduff s’affrontent dans le sang et la boue alors qu’autour d’eux les hommes se sont tus et le chaos règne silencieusement. Ce n’est plus une guerre, c’est le combat de deux hommes déterminés prêts à assouvir une vengeance ou à conserver un trône. Justin Kurzel saisit toute l’essence et l’ampleur dramaturgique d’un tel affrontement. De par sa mise en scène, il illustre au sens le plus littéral du terme l’expression « à feu et à sang ». Si le jury cannois a laissé de côté Macbeth dans son palmarès, le directeur de la photographie Adam Arkapaw (True Detective, Animal Kingdom) sera sans doute salué dans les mois à venir pour son travail d’orfèvre qui donne à Macbeth toute la grandeur de cette tragédie. Mais derrière ce que l’on pourrait juger comme une couche de vernis se cache une volonté inexorable de moderniser cette tragédie tout en la conservant dans son époque d’origine. Même si ce sont les Weinstein qui sont à l’origine du projet, connus pour être des compétiteurs acharnés aux Oscars, Justin Kurzel évite l’académisme et le formatage propre à leur studio en réalisant un vrai film d’auteur dans la juste continuité des Crimes de Snowtown. Peut-être qu’à travers cette patte graphique appuyée, les sceptiques jugeront cette relecture comme un pur exercice de style sans fond. Mais il faut reconnaître que la dernière séquence percute littéralement la rétine et touche du doigt un climax sensoriel enivrant, laissant le spectateur durablement marqué par un affrontement remarquable. Shakespare disait qu’« une chute profonde mène souvent vers le plus grand bonheur ». C’est ainsi que l’on peut prendre ce dernier acte où Macbeth, éreinté par ces luttes constantes, aussi bien physiquement que mentalement, est libéré de ses démons par la mort.


A travers cette nouvelle lecture de l’œuvre de Shakespeare, Justin Kurzel propose un film captivant qui pousse ce leader charismatique dans ses derniers retranchements. Oublié à Cannes, le film est assurément l’un des prochains candidats aux Oscars. Le Macbeth de Justin Kurzel n’est pas qu’une simple relecture, c’est une œuvre qui trouve toute sa résonance à travers la représentation intérieure de ce Roi maudit dans cette photographie qui progressivement fait déchaîner les Enfers sur la Terre. Ce Macbeth atteint une véritable sensibilité moderne qui rend hommage à la pièce de Shakespeare et à son personnage charismatique et haut en couleur, à l’image de ce film intense et viscéral.


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le 30 juin 2015

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Kévin List

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