On peut faire une foule de reproches à Dolan, mais certainement pas celui de l’insincérité. C’est d’ailleurs là l’une des conclusions de ce film, qui enjoint à la jeunesse de vivre dans la vérité : live before you lie, ce mensonge étant ainsi associé à la maturité, à savoir un pas décisif vers la mort.
Une bonne raison de ne pas céder à la tentation de faire un chapitre des Arcanes du film d’auteur version Dolan.


La question qui semblait si cruciale du changement de paradigme dans la filmographie du petit génie lyrique importe finalement, et paradoxalement, très peu. Ce nouvel opus aborde les mêmes questions, puise dans la même veine autobiographique, et ne cesse de se raccrocher à l’œuvre qu’il construit depuis une décennie. Qu’on passe à la langue anglaise avec un casting de stars ne dilue en rien son propos, et ne trahit pas ce qui motive son geste artistique. C’est en réalité l’effet inverse qui se produit : le spectateur a plutôt le sentiment de voir de nouveaux venus rentrer dans son salon, et s’y cogner assez régulièrement contre un ameublement trop exigu. Il suffit de voir les premiers plans sur Nathalie Portman pour s’en convaincre, filmée de trop près, discrètement enlaidie par cette frange et un déséquilibre nerveux propre à la farandole de mères qui danse dans l’œuvre du fils prodige. A l’autre bout du spectre, Sarandon fera de même, singeant avec un certain malaise les partitions de Dorval ou Baye.


Sincères, ces ralentis, cette hyperbole dans les longues focales pour flouter l’arrière-plan, ce lyrisme qui fige des scènes qui semblent hurlées à destination de la postérité cinématographiques, et qui, bien entendu, le font d’autant plus fort qu’elles s’inscrivent dans une mise en abyme qui réfléchirait sur la célébrité, les illusions cruelles du monde du spectacle et les rêves d’enfant.


Sincère toujours, cette musique constante, ces séquences clipesques et cette rythique permanente qui rappelle bien souvent le procédé utilisé par Anderson dans Magnolia, toujours sur le fil de l’irritation maniériste, mais qui cherche surtout à tisser des liens entre les époques et les récits qui s’entremêlent.


Ma vie avec J.F. Donovan est un film souvent embarrassant – une atmosphère que maîtrise bien Dolan pour l’avoir souvent donnée à voir. Malheureusement, c’est ici l’œuvre qui en pâtit. La sincérité a beau déborder de partout, on voit aussi – et surtout, en réalité – la difficulté avec laquelle le cinéaste la jugule. Les coupes sur une œuvre à l’origine bien plus vaste sont patentes, et déséquilibre une structure qui s’offre encore le luxe de certaines longueurs ; les personnages ont certes de l’épaisseur, mais on ne peut s’empêcher de reconnaître des modèles désormais essorés de son univers (les mères, les gays) ou la maladresse avec laquelle il aborde les nouveaux venus, comme cet enfant qui certes joue très bien, mais pour sortir des propos qui supposeraient une bonne décennie de psychanalyse avant de pouvoir être formulés. Mais le plus gênant reste finalement ce recours à l’autocitation : dans la reproduction de ces scènes de famille qui dégénèrent (le dîner chez Sarandon, l'une des pires scène du film où tous les comédiens semblent rejouer Juste la fin du monde, qui surjouait déjà tous les opus précédents du Dolan), les épiphanies musicales (Stand by Me sous la pluie avec course au ralenti vers maman, Bitter Sweet Symphony sur le sourire final d’une cynique qu’un témoignage bouleversant aura enfin décillée) et la réécriture du sommet de Mommy, à savoir Céline Dion dans la cuisine qui devient ici un nouveau titre dans la salle de bain.


C’est peut-être là que se loge le cœur du problème : l’écriture elle-même ne cesse de souligner ce que les personnages pouvaient dire par eux-mêmes. Au gré d’une structure qui favorise la voix off et les parallèles constants (entre la star et l’enfant aspirant à la devenir, leur rapport à leur mère, leur père manquant, leur homosexualité), les grandes déclarations (celle du petit ami qui ne veut pas vivre dans le secret, celle de l’enfant à sa mère, celle du jeune adulte à la journaliste expliquant par un discours habité que non, tout ceci n’est pas de la bluette pour pauvre petits riches occidentaux), Dolan passe son temps à se justifier, à attirer l’attention sur les parallèles à sa propre vie, et à son œuvre elle-même. Au point que lorsque Rupert explique qu’il n’en a rien à faire que son idole ait été un comédien de seconde catégorie s’illustrant dans des navets à la mode, on se demande si le cinéaste ne serait pas passé de la justification aux excuses.


On les lui accordera sans trop de difficultés. Son prochain film est déjà prêt, et il nous est permis d’espérer qu’il saura tirer les leçons des maladresses bien intentionnées de celui-ci.

Sergent_Pepper
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le 18 mars 2019

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