Une impression de déception diffuse reste en travers du cœur à l’issue du visionnage du dernier rejeton de Xavier Dolan.


Film paradoxal, intime tout autant qu’impersonnel à la fois, il aura peiné à être éjecté du giron paternel. A la dernière minute, le réalisateur québécois aura coupé au montage la flamboyante Jessica Chastain. À l’avant-première mondiale pour le public du film, le 28 février dernier au cinéma MK2 Bibliothèque, il sous-entendra cette nécessité en nous expliquant que le résultat abouti constitue « le meilleur film qu’il aurait pu écrire sur le sujet », « tel qu’[il] l’avait imaginé ».
Cela ne s’en ressent pas par un quelconque manque de cohérence, et sa longueur (2h10 tout de même) n’est pas non plus dérangeante ; cependant le film peine à éveiller les élans habituels que les œuvres de Dolan délenchent à l'accoutumée.



Il était une fois Dolan



Récit a priori très personnel, cette Vie avec John F. Donovan rejoint les rêves d’enfance et les relations plus actuelles de Dolan avec Hollywood. Il est difficile de ne pas voir Xavier Dolan enfant dans le personnage du jeune Rupert Turner – interprété par l'extrêmement prometteur Jacob Tremblay, stupéfiant de fureur et de fragilité – envoyant fébrilement ces lettres dans l'espoir de recevoir celles, griffonnées à l'encre verte, de son idole incomprise John F. Donovan – joué par le bestial Kit Harington. À cette avant-première, Dolan lira d’ailleurs une lettre sans réponse qu'il avait envoyée à DiCaprio.


Dans un dialogue avec lui-même, le jeune Rupert qui se rêvait célèbre se mue en un Donovan-Dolan en proie aux tourbillon américain de la notoriété et des tournages. Il devient sujet aux scandales, orchestrés par des médias avides de scoop. Jessica Chastain était d’ailleurs supposée interpréter une rédactrice-en-chef de tabloïd sans pitié.
Mais au fond de lui, Dolan reste cet auteur incompris et éternel rêveur, qui n’est autre qu’un Rupert à peine vieilli. Le réalisateur se complairait presque dans cette position explicative de son œuvre, face aux jugements de futilité et au dédain des « experts » plus âgés, personnifiés par la journaliste – Thandie Newton à qui on offre un rôle malheureusement très plat.


Comme à son habitude (J'ai tué ma mère, Mommy, Juste avant la fin du monde) Dolan explore les relations mères-fils assez brillamment. Le thème des faux-semblants semble à cet égard être un fil rouge du film. La mère – Natalie Portman – qui semble ingrate et dure, refoule son affection derrière ses difficultés des communications. En miroir, son fils dissimule des trésors d’amour pour sa génitrice, et se révèle plein de ressources.


Une sensibilité et une sensualité toute dolanienne (à l’instar des passages hors du temps des Amours imaginaires ou de Mommy) se révèle aussi via le personnage John F. Donovan, au détour de son hésitation amoureuse, de ses frasques nocturnes, ou dans ses discussions tout aussi retenues que fusionnelles avec son frère.


Une scène tombe malgré cela comme un cheveu sur la soupe, car piètrement introduite : celle de la baignoire où se lovent les deux frères, amusamment observés par leur mère guillerette, qu’on ne savait pas si proche de ses fils – on ne devinait pas non plus ceux-ci si tactiles. Ce moment distille un certain malaise qui n’était peut-être pas sensé perdurer autant.



Le rêve américain ?



Ces dissonances font tiquer, et ne compensent pas le manque de relief général du film. Ma Vie avec John F. Donovan ne nous emporte pas dans les tempêtes sentimentales et émotionnelles auxquelles Dolan nous avait habitué.
Nos fondations n’en ressortent pas ébranlées, aucune image ne reste gravée sur la rétine. Un changement de genre n’est pas une mauvaise chose en soi, mais celui-ci relève plus de l’involontaire. Le public se détache d’enjeux et de personnages qui tiennent pourtant tant à cœur au réalisateur.


Non, Dolan ne semble pas encore avoir réussi à apprivoiser le John F. Donovan en lui, ni à nous l’introduire. Il ne tient qu’à lui de tirer de sa nouvelle envergure internationale une force renouvelée pour nous éblouir de la même magie qui la fait connaître.


Je ne doute pas un seul instant qu’il y parviendra.


Lire aussi la très bonne (et longue) critique de Rémi (et résumé de la séance où j'ai vécu cette somme toute décevante expérience) : https://www.senscritique.com/film/Ma_vie_avec_John_F_Donovan/critique/110801817

Lucie_L
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Cinéma LGBT+, 2019 serait-elle encore plus maigre en visionnages ? et Les meilleurs films de 2019

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le 13 mars 2019

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Lucie L.

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