Ma Loute par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En ce bel été de année 1910, les membres de la riche famille lilloise Van Pateghem, bien pensante, puante de snobisme et de vanité, se rappelleront longtemps de leur séjour dans leur grande demeure du Pas de Calais dominant la Baie de la Slack. L'inspecteur Machin et son fidèle adjoint Malfoy, tous deux "flics très spéciaux" sont chargés d'élucider le cas de mystérieuses disparitions de touristes dans le secteur. En contre-bas de la grande demeure se trouvent de misérables masures où "vivotent" quelques familles de pêcheurs de moules et notamment les Brufort et leurs trois fils. Au cours de ces vacances, "Ma Loute", l'ainé très énigmatique, ne reste pas insensible aux charmes de Billie, l'une des filles du clan Van Pateghem à l'allure et aux mœurs fort troublants, contrastant avec le tempérament de son entourage familial...


C'est donc une énigme très intrigante et inquiétante qui vient à prendre beaucoup d'ampleur dans cet endroit perdu aux paysages enchanteurs. Cela ne va pas arranger du tout le bien-être de la famille Van Pateghem, richissimes bourgeois complètement décadents, hors du temps et détestables autant par leur maniérisme, leurs idées toutes faites que leur façon d'appréhender la vie et leur voisinage. Tels des seigneurs dans leur forteresse, ils dominent les gens du bas considérés comme des "serfs", gens misérables d'un autre monde.
Pour en revenir aux "dégénérés" du haut, le début des vacances se passe dans un paysage idyllique devant lequel il fait bon se prélasser dans des transats. Quelque temps plus tard le reste de la famille fait son apparition en la personne de Christian dont la prétention n'a rien à envier à celle de son frère et de Aude son épouse aussi snobe que tragédienne. Au milieu des "citadins", les trois filles tentent "d'exister" en se moquent quelque peu de "l'entourage local". Toutefois l'une d'entre elles, Billie à l'allure improbable, va s'enticher de "Ma Loute", un garçon de la fratrie des "gens du bas" aussi bizarre de comportement que ses parents, les Brufort, repoussants de saleté et d'attitude.
Le seul problème, qui n'est pas le moindre, c'est que dans cette baie des touristes disparaissent. Ont-ils été pris par la marée ou ont-ils été assassinés ? Pour démêler cette délicate énigme, l'inspecteur Machin, genre de "culbuto-baudruche", et son tout frêle adjoint Malfoy investissent les lieux. Autant dire que le résultat ne se montre pas très concluant car les disparitions persistent. La tension monte dans la famille Van Pateghem qui commence à apprécier de moins en moins leur "paradis terrestre". La vie continue tout de même comme elle peut mais nos "seigneurs du haut" auront bien du souci à se faire pendant que Billie et "Ma Loute" poursuivent leur étonnante relation.


Franchement on ne pourra pas dire que Bruno Dumont est un réalisateur qui manque d'imagination car ce film est truffé de personnages atypiques. En fait cette histoire intrigante n'aurait pas eu un tel impact si elle n'avait pas été traitée de la manière voulue par le réalisateur. Déjà celui-ci est de la région. Il a donc choisi l'endroit idéal pour planter son sujet. À partir de là, il a pris le parti de traiter cette histoire de façon très théâtrale façon boulevard. On retrouve sans cesse un mode outrancier qui n'est pas pour déplaire, bien au contraire. Les situations sont surréalistes et ubuesques. Comme dans des comédies de Labiche ou de Feydeau, les couches sociales sont très "tranchées". Les bourgeois sont ridicules à force de vanité et de contradiction sauf qu'ici, les pauvres sont logés à la même enseigne. Dans leur genre, ils sont également répugnants et fourbes. Bien entendu Bruno Dumont se devait également d'égratigner les représentants de la loi et du clergé. Pour justifier tout cela, cette ouvre est emplie de scènes hilarantes dont beaucoup sont inattendues. Les gags sont énormes et tournent les personnages qu'ils soient riches ou pauvres en ridicule. On se déteste entre les deux catégories de population, on s'évite tout en s'épiant, la police est dépassée et démunie, le clergé ne pense qu'à ses prières et à sa procession. Nous atteignons peut être là, dans cette aventure déjantée, un message réaliste de l'état de notre société ?
Pendant ce temps, malgré les différences, malgré les attitudes troublantes, il y a deux jeunes qui se fichent des traditions, des classes sociales et qui tentent de créer leur univers bien particulier: Billie et "Ma Loute".


Bien évidemment pour obtenir une telle réussite dans ce style de cinéma alliant le grand-guignol et la comédie, la vitesse d'exécution dans les gags et les réparties sont primordiaux. Faire rire est un travail énorme et les artistes qui s'attèlent à une telle tâche souvent un peu méprisée doivent posséder un talent incontestable. Ici la mise en scène fourmille d'idées originales et de personnages bizarres qui demandent aux acteurs beaucoup de talent et une performance de leur part. Fabrice Luccini est ici méconnaissable autant physiquement qu'oralement. Le voici bossu, avec une démarche précieuse. Ce personnage de André Van Pateghem est celui d'un bourgeois hors du temps, peut-être un peu complexé mais fier de lui et de ce qu'il possède. En un mot, il est tout simplement extraordinaire dans ce rôle inhabituel. Valeria Bruni Tedeschi tient le rôle de Isabelle, son épouse. Devant combler le manque de personnalité et le fatalisme de son époux, elle est une femme de fort caractère snobe et exigeante et qui finalement se montre assez éloignée de son mari. Juliette Binoche, Aude la belle-sœur, est une femme comédienne dans le mauvais sens du terme et insupportable, experte en évanouissements, en jérémiades et en grandes envolées verbales outrancières. Aude est affublée de son époux Christian,
Jean-Luc Vincent, le frère de André. Bien sûr il paraît plus futé et moins précieux que son frère mais ce n'est qu'une apparence bien trompeuse. Pour compléter cette pléiade de personnages insolites, il y a bien entendu les deux représentants de l'ordre interprétés par Didier Desprès, gonflant et soufflant tout au long de l'enquête alors que son adjoint Malfoy, Cyril Rigaux, semble médusé et presque résigné. Je ne dirai rien sur les fonctions troublantes de nos pêcheurs de moules, Caroline Charbonnier et son époux Thierry Lavieville. Enfin nous retrouvons "Ma Loute", Brandon Lavieville, qui essaie de s'adapter, non sans difficulté, à une vie à peu près normale en compagnie de la jeune Billie, Raph, contrastant avec la mentalité décadente de sa famille. Cette relation sera t-elle définitive ?


Pour apprécier ce très bon film, il vous suffit de vous asseoir dans un bon fauteuil et de vous laisser emporter par ces aventures rocambolesques. Vous allez alors "adopter" ces personnages improbables qui vont vous servir une gamme de gags désopilants. Pour ma part, je trouve que Brunot Dumont a parfaitement rempli sa mission et que les acteurs se sont certainement autant amusés que moi durant le tournage.

Grard-Rocher
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le 22 déc. 2016

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