Le chaos règne.


Gaspar Noé s’installe, petit à petit, en cinéaste du chaos, et Lux Æterna, son dernier film en date, ne déroge pas à la règle.
En fait, ce moyen-métrage pourrait être vu comme le prolongement de Climax, suivant le même schéma narratif, la même idée. Mais si Climax était une application à la lettre de cette situation, Lux Æterna se révèle bien plus malicieux et désagréable pour le spectateur. Avec ce film, Noé stimule son spectateur jusqu’à l’overdose, son utilisation du split-screen en témoigne : multiplication des sons, des couleurs, des mouvements de caméra, des langues, tout est fait pour empêcher la parfaite lisibilité de l’ensemble. Ajoutez à cela des personnages principaux constamment harcelés, qui crient pour se faire entendre, le tout dans une marée humaine enfermée dans le dédale que constitue le plateau de tournage, une histoire sordide racontée au téléphone, du sabotage et de l’incompétence, et vous avez devant les yeux une pure représentation de la frustration, de l’incapacité à coexister et coopérer. « Vivre est une impossibilité collective. »


Ainsi, les dix dernières minutes apparaissent comme un Salut. Les couleurs stroboscopiques et le sound design agressif nous libèrent : ce paroxysme nous place dans un état quasi hypnotique, où il est impossible de fermer les yeux malgré la manifeste intention du réalisateur de vouloir les endommager par tant de stimulis. Pas étonnant alors que le carton qui ouvre le film (qui reprend une citation de Dostoïevski) nous parle de cet état, de la seconde précédant la crise épileptique. Alors, seule déception peut-être, l’absence de convulsion à l’écran, qui aurait projeté ce Lux Æterna dans l’horreur corporelle, rejoignant l’horreur psychologique que l’on subit depuis quarante minutes déjà.


Ainsi, on peut considérer Lux Æterna comme le film le plus expérimental de son réalisateur, si l’on omet ses courts-métrages. Le format court l’empêche de développer correctement la narration, des choses restent en suspens, et le climax ne résout rien : ce film est un film d’expérience, peut-être plus encore que tous les autres. Le nombre d’effets, et leur force, y sont décuplés, jusqu’à atteindre le paroxysme décrit plus tôt, une somme de ce que fait Gaspar Noé depuis vingt ans : psychédélisme, ravage et chaos. Les cartons, déjà présents dans ses précédents longs-métrages, se multiplient, enchaînant citations après citations, reprenant beaucoup de ses inspirations (Pasolini, Fassbinder etc.), et Noé pousse ses méthodes de tournage jusqu’à l’extrême. Sur ce dernier point, je vous invite à regarder la conférence de presse cannoise, où Gaspar Noé explique avoir tourné le film en cinq jours (contre quinze pour Climax), avec beaucoup plus d’improvisations qu’à l’accoutumée et une histoire qui s’écrit au fil des jours de tournage : le moyen et la fin se rencontrent.


Un film patchwork, tonitruant dans ses effets, exaspérant pour beaucoup, qui peut sembler pousser jusqu’à la caricature le cinéma de Noé. Que m’importe, si c’est pour livrer une expérience aussi formidable que fut celle du visionnage de ce Lux Æterna.

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le 30 mai 2019

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