Besson reste dans le ciné commercial

Un an (à peine) après son maladroit Malavita (hommage au cinéma de Martin Scorsese que que l’on aurait aimé plus déjanté), Luc Besson nous revient en tant que réalisateur (avec au passage quelques productions telles que 3 Days to Kill) avec un long-métrage qui rappelle, sur le papier, la grande époque du cinéaste. Celle où il n’utilisait que le nom du personnage principal comme titre (Nikita et Léon). Celle également où il n’avait d’yeux que pour des héroïnes au caractère bien trempé et qui ne se laissaient pas faire facilement (Nikita, Mathilda dans Léon, Leeloo dans Le Cinquième Élément). Alors, en revenant sur le devant de la scène avec Lucy, avec pour vedette la star hollywoodienne du moment (Scarlett Johansson) dans un thriller de science-fiction pour le moins original, autant dire que le retour du réalisateur qui a connu les tréfonds de la médiocrité depuis quelques années (la trilogie des Minimoys, Adèle Blanc-Sec…) semble faire son grand retour, 17 ans après Le Cinquième Élément ! Mais bon, c’est beau de rêver…

À l’heure actuelle, l’être humain ne sait utiliser que seulement 10 % de son cerveau. Mais qu’arriverait-il si l’un d’entre nous arrivait à user de l’intégralité de ses capacités ? C’est ce que va découvrir Lucy (Scarlett Johansson), une jeune femme vivant à Taipei, qui se retrouve à jouer les mules pour la mafia taïwanaise après un guet-apens, cette dernière lui ayant introduit dans son ventre un sachet contenant une drogue expérimentale. Et qui va donc, accidentellement, absorber la fameuse substance. Ce qui aura pour effet de décupler ses facultés physiques et psychiques. Dès lors, la jeune femme part à la recherche des autres mules transportant la même drogue, afin d’éviter que celle-ci ne se propage et aussi d’atteindre les 100 % des capacités du cerveau humain.

En voyant la bande-annonce, on se doutait bien que Lucy aurait des airs de productions Besson à la Taken et autre Colombiana, étant donné que les séquences d’action étaient suffisamment mises en avant (dont la fameuse course-poursuite dans les rues de Paris). Sans oublier que, depuis quelques temps, voir qu’un film ait « été écrit par Luc Besson » reste un détail du générique qui fait toujours sourire, tant le bonhomme nous vend à chaque fois la même histoire (mêlant tueur, ex-agent et mafia pour une quête vengeresse ou bien un dernier coup avant de raccrocher) et prétextant une base scénaristique originale et une star au casting juste pour attirer le spectateur dans les salles. Oui, Lucy semblait être de cet acabit. Mais une fois le film démarré, on sent que Besson veut véritablement raconter quelque chose.

Le film démarre de manière inattendue sur la Lucy ancestrale (l’Australopithèque découvert il y a de cela plusieurs décennies). Puis, sans crier, le réalisateur nous met directement dans le bain où cette chère Lucy (la vraie, cette fois-ci) se retrouve piégée dans une drôle d’affaire. Une séquence d’une bonne dizaine de minutes, qui rappelle un peu l’introduction de Léon de part son humour noir et le style de mise en scène. Même si quelques effets de caméra (un accéléré plutôt dispensable) et clichés (les mafieux en costard-cravate faisant leur tête de méchant) restent critiquables, le film débute agréablement. Et puis l’histoire avance, nous présentant petit-à-petit des personnages charismatiques. En même temps, vu les acteurs : Scarlett Johansson à le charme et le tempérament nécessaire pour le rôle-titre, Morgan Freeman se montre toujours de taille et Choi Min-sik (Old Boy) possède un aura particulièrement magnétique.

Et l’histoire avance encore, tranquillement, nous présentant le parcours de Lucy après qu’elle ait ingéré la drogue tandis qu’en parallèle, le personnage de Freeman nous balance un joli exposé universitaire sur les capacités du cerveau. Un moment assez intéressant à suivre, d’autant plus que Besson se prête à un sympathique jeu de montage, qui consiste à illustrer les propos de cet exposé par autre chose (même la capture de Lucy a droit à ce traitement, via une séquence montrant un guépard chassant une antilope). Cela fait déjà vingt bonnes minutes que le film a commencé, et les bonnes idées du scénario pointent le bout de leur nez (comme le fait que Lucy perde de son humanité au fur et à mesure que ses capacités intellectuelles augmentent).

Mais une fois son héroïne prête pour la suite du film, Besson ne sait plus quoi faire de ce dernier et perd, du coup, toutes ces bonnes trouvailles scénaristiques. Faut-il divertir le public comme le promettait la bande-annonce ? Ou bien continuer dans les idées qu’offre un tel postulat ? En seulement 1h30 de film, le réalisateur décide de faire ces deux choses en même temps, et enfonce son bébé dans le grand n’importe quoi. Nous proposant du coup un long-métrage plutôt avare en séquences d’action spectaculaires (nous ne retiendrons que la course-poursuite à Paris, et encore !) alors qu’avec un tel personnage, Besson pouvait flirter avec les Marvel du moment. Et qui se termine de la manière la plus abracadabrantesque qui puisse exister. Un humain dépassant les 40 % de son cerveau, c’est du jamais vu. Le scénario pouvait donc se permettre pas mal de délire pour nous surprendre. Mais pas jusqu’à nous resservir le symbiote de Spider-Man 3, une espèce de voyage dans le temps et la fabrication d’une sorte de superordinateur juste histoire de transmettre le savoir de l’héroïne. Nous empêchant du coup d’avoir un face-à-face prometteur avec le parrain taïwanais et se terminant brutalement, comme si de rien n’était. Et pour en arriver là, il a fallu attendre patiemment en souriant au second degré propre à Besson (humour fort sympathique soit dit en passant), suivre un personnage principal nullement travaillé (alors que Besson, lors de la promotion, en faisait des caisses sur le sujet). Bref, il fallait laisser défiler le film sans rien dire, jusqu’au générique de fin. Frustrant, non ?

Remettons les pendules à l’heure pour conclure. Le dernier paragraphe est certes assassin, mais il faut reconnaitre à Lucy ses quelques qualités qui le font hisser au-dessus des productions Besson habituelles. Mais c’est le fait qu’il ne s’agisse pas d’une de ces productions que le constat final s’avère bien plus salé. En effet, Besson montre qu’il en a encore sous le capot. Qu’il a un talent de cinéaste qui reste enfoui en lui, tant le bonhomme persiste à nous offrir (et ce depuis Le Cinquième Élément) un cinéma tout ce qu’il y a de plus commercial. Et Lucy donne également l’impression d’avoir été fait dans ce but. Il suffit de prendre un détail du film qui a été longtemps mis en avant : son budget (le plus conséquent qu’ait financé EuropaCorp., soit 40 millions de dollars, qui a plus servi à payer Johansson et les effets spéciaux, signés par ILM). Or, c’est une information dont nous nous fichons royalement, le plus important étant que le film soit réussi avant tout. Et c’est là tout le problème de Lucy, qui reflète en tout point le cinéma actuel de Luc Besson : une idée en or transformée en pompe à fric peu travaillée… Déception donc. Pour le film mais également en ce qui concerne l’espoir de revoir le cinéaste revenir à l’époque de ses plus grands chefs-d’œuvre.

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le 6 août 2014

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