Chef d'oeuvre Sioniste : Love Exposure par Rawi & Fritz_The_Cat

"L'amour exposé" ! Ou, si l'on veut, l'amour trituré, agité, vécu envers et contre toutes les vicissitudes.

Le film de Sono Sion, édité en DVD et Blu-Ray fin Mars 2013, n'a pas eu la chance de sortir au cinéma. Chance ou malchance car nul doute qu'il aurait dû subir de nombreuses coupes pour trouver le chemin des salles obscures. Au vu des thèmes qu'il aborde (chrétienté, sectarisme, violence familiale, fétichisme, identité sexuelle...), ce film tentaculaire aurait-il subi la frilosité des distributeurs ?

L'histoire est celle de Yu, un jeune-homme contraint de satisfaire la demande d'un géniteur rentré dans les ordres à la mort de sa femme et en mal de fidèles à absoudre. Le paternel exige en effet de son fils sage comme un image une confession quotidienne, forçant l'adolescent à s'inventer toutes sortes de dépravations jusqu'à, un jour, vraiment franchir le pas.

N'y allons pas par quatre chemins : si nous avons choisi ce film-là pour inaugurer nos critiques communes, c'est bien parce que nous le tenons en très haute estime, Love Exposure étant de ces oeuvres rares et précieuses qui font de la liberté leur note d'intention première. Liberté de ton, de langage et d'expression.

De fait, bien que l'on retrouve le cinéaste Sono Sion dans une posture de grand romantique prêt à nous raconter une bluette adolescente, il laisse entrevoir à de nombreuses reprises des accents plus sombres et obscurs. Derrière l'explosion de couleurs qui irrigue le long-métrage, le noir veille à ne pas disparaître, la violence étant parfois au rendez-vous. Et pas seulement celle des sentiments...

Car malgré un pitch déjà délirant, Love Exposure embraye sur une tonne de détours scénaristiques, de sous-intrigues folles, passant de l'émotion la plus pure à la violence la plus trash avec un égal bonheur. Celui qu'il procure au spectateur est immense, irrépressible. Véritable ascenseur émotionnel doublé d'une prouesse rythmique ahurissante, le film a beau durer 4h, il reste imprévisible et prenant de bout en bout.

N'écoutant que lui-même, Love Exposure propose une expérience unique où la violence est présente aussi bien dans les images que dans les esprits, de manière physique autant que psychologique.
L'oppression sociale et religieuse fait ici plus de dégâts que les coups distribués et reçus dans la rue ou en famille.
Pourtant, la base de Love Exposure est certes un argument potache : un adolescent brimé sexuellement par la rigidité de son éducation catholique découvre le plaisir sexuel en rejoignant un groupe de pervers professionnels, en fait de véritables acrobates-fétichistes obsédés par les photos de petites culottes. De nouveaux amis auprès desquels Yu apprendra à ériger le péché en sacerdoce.
Et Sono Sion de foncer bille en tête avec une grâce et une énergie qui confinent au sublime, conséquence d'une direction artistique où se croisent des éclats de poésie brute et une belle poignée de séquences tournées sans autorisation dans les rues de l'archipel nippon.

L'imprévu, Love Exposure en fait sa meilleure arme. D'ailleurs, loin d'être sélectifs, les fétichistes du film ne sont pas en quête de dessous chics ou sexy : de petites fleurs sur un tissu en coton suffisent à leur bonheur. Et à celui de Yu, le héros de récit allumé. A ceci près que Yu, contrairement à ses camarades de jeu, n'a jamais eu la moindre érection. Lui, il cherche la femme de sa vie, qu'il désigne comme sa future "Marie" (en référence à la mère de qui vous savez, oui oui). Il ne veut pas de la première venue. Comme on réserverait sa première fois jusqu'à trouver la bonne personne, lui sait que son premier battement de coeur pour une autre femme irriguera jusqu'à son organe. Pas de barrière entre amour et sexualité chez Sono Sion : l'un et l'autre coexistent et se nourrissent en permanence. "Il faut bander du fond du coeur !", comme le répète un des personnages secondaires.

La recherche de l'âme sœur, la vraie, est quelque part montrée comme une quête chevaleresque, un combat. Ce qui serait finalement simple si le preux chevalier n'avait pour armée une cohorte de photographes tordus !
Mais il ne faut pas perdre de vue que dans Love Exposure, tous les personnages sont hors-normes d'une manière ou d'une autre. Aucun, que ce soit les adultes garants de l'éducation, ou les adolescents, êtres humains en construction, n'est pleinement équilibré, en phase avec le monde qui l'entoure. Bonne nouvelle pour nous : ce monde, Sono Sion l'a voulu assez fou pour remplir de joie le plus blasé des cinéphages.

Du coup, en dépit d'aspects autrement plus sérieux et désespérés (on vous laisse la surprise), Love Exposure respire la fraîcheur, l'enthousiasme et la vitalité. Sa simplicité n'est en rien synonyme de vacuité et la richesse du film se situe là : la gravité et l'humour s'y entrecroisent, fusionnent parfois, s'éloignent à l'occasion mais continuent de valser de façon grisante, terriblement jouissive. Ainsi, l'oeuvre suit un fil rouge narratif mais part néanmoins dans tous les sens en dissertant brillamment sur l'incommunicabilité entre les êtres.

Dans Love Exposure, la légèreté n'est pas l'ennemie du drame. Sono Sion ne prononce aucun jugement sur ses protagonistes et ne vient pas alourdir le sujet : il porte un regard simple (mais affûté), parfois entomologique sur la société et sur ses contemporains. Ne prenant jamais ses personnages de haut, l'oeuvre n'a de cesse d'élever le débat, atteignant une demi-heure après l'autre une portée thématique vertigineuse.

Un film inclassable, à voir pour le croire, qui nous promène toujours hors des sentiers battus. Une grande oeuvre romantique débridée qui demande au public de revoir tous ses critères de jugement pour profiter du voyage. Quatre heures de bonheur total dont on ressort épuisé mais heureux comme après avoir vécu la plus belle, la plus démente, la plus excitante, la plus originale et la plus vivante des histoires d'amour.

Love Exposure, ou un orgasme cinématographique de 240 minutes. En langage clair, on appelle ça un coup de foudre !

Rawi & Fritz_The_Cat

PS : ne regardez surtout pas la bande-annonce, où sont présents le début, le milieu et la fin du film...

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le 22 janv. 2014

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Rawi

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