Certaines restaurations sont plus attendues que d’autres. Il aura fallu plus de 50 ans pour voir ce film dans une version totalement fidèle à celle voulue par son auteur : montage, langues étrangères, coupes, la copie précédente était mutilée.
On comprend mieux, au visionnage, l’audace du film pour son époque et son auteur. Le passage à la couleur ne se fait pas en douceur, elle explose de toutes parts, dans une ouverture grandiloquente et baroque où l’on présente, dans un cirque, le personnage principal et sa destinée sous forme de spectacle. Cette idée qui structure le film est superbe : de longues transitions, toutes plus inventives les unes que les autres, symbolisent le numéro d’équilibriste de Lola, sa conquête des cœurs et des villes européennes dans une circularité d’une grande maitrise. La réflexion qui s’en dégage sur le monde du spectacle, sur le concept même de scandale, est fascinante et particulièrement pessimiste. Jusqu’au bout, final d’une grande violence muette, Lola reste la courtisane, la cible des voyeuristes, la prostituée de luxe d’un monde éperdu de divertissement.
La caméra d’Ophuls est toujours aussi fluide : plan-séquences, panoramiques, nombreux jeux sur les déplacements notamment sur les différents niveaux de galeries à l’Opéra, ou dans le carrosse, véritable résidence de Lola. Sa trajectoire, qui fend la foule, est suivie avec minutie : lorsqu’elle rend le cadeau du mari chef d’orchestre à sa femme légitime, lorsqu’elle traverse le défilé pour rencontrer Louis de Bavière.
Mais ce formalisme baroque se double d’un traitement très intelligent de l’image. Chaque amant a une seule ambition, l’arrêter. La belle idée du roi, à savoir de faire faire le portrait de Lola par le peintre le plus lent de son académie pour la faire rester auprès de lui, symbolise l’action des hommes à son égard, qui finissent par l’emporter en payant un dollar pour la voir en cage.
Le film dans sa version intégrale, soit près de deux heures, fait néanmoins preuve de lourdeurs, l’alternance entre les séquences du cirque et les flash-back par instants assez académiques occasionne un mélange des genres certes audacieux, mais qui peut aussi irriter.
A de nombreuses reprises, lors de dialogues entre Lola et ses prétendants, un élément barre le champ : colonne, lampe, ou une corde suspendue qui ne parvient pas à se stabiliser. Signes ostentatoires de son inaccessibilité, mais éléments simultanément tragique, car ils préfigurent les barreaux, statiques, de la cage de la ménagerie dans laquelle elle finira son spectacle. Le principal sujet du film reste ce mystère impénétrable qu’est Lola, de plus en plus marmoréenne à mesure que le temps passe : figée, blasée, sans illusions et revenue de tout, elle nous contemple d’en haut, spectateurs voyeurs, admiratifs et complices, dans l’attente de sa chute du haut du chapiteau qu’on souhaite et qu’on redoute lui être fatale.

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Sergent_Pepper
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le 17 déc. 2013

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le 28 sept. 2013

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Sergent_Pepper

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