Quitte à donner la palme à un film austère, ce n’était pas à Ceylan qu’elle devait échoir, pour son lénifiant Winter Sleep mais à Zviaguintsev. Léviathan est un très beau film, dans la continuité de son cinéma, qui avait néanmoins perdu un peu de sa magie avec Elena. Je ne suis pas super convaincu par le début du film, bien que je reconnaisse qu’il faille en passer par là et de cette manière-là pour pouvoir se prendre la suite dans la tronche. C’est trop maîtrisé, trop écrit, trop politique. L’espace – et quel espace ! – n’a plus sa place, le cinéaste privilégiant ses longues séquences dialoguées, majoritairement noyées sous l’alcool qu’il ne vitalise pas vraiment par sa mise en scène, saccadée de champ/contrechamps épuisants. Syndrome Winter sleep dans ces instants là. Et puis le film glisse insidieusement. Lors de ce fameux pique-nique et ces tirs à la carabine. Une fois pleinement resserré sur l’intimité familiale et /ou individuelle, toute la puissance d’anéantissement du récit se révèle dans une tragédie absolue. Tout devient très beau, impressionnant et terrifiant. L’une des plus belles pièces de Glass, Akhnaten, prélude, achève d’offrir toute son ampleur tragique à ce film somme qui lévite véritablement. La musique de Glass, ouvrant (d’entrée ça fait peur, on se dit encore, c’est pas possible) et fermant le film est plutôt bien utilisée – Sa plus belle utilisation à mon avis avec le Koyaanisqatsi de Reggio. Deux utilisations complètement différentes pourtant mais les seuls à le faire ainsi ce qui prouve qu’il n’y a pas trente-six manières de mettre en scène Glass dans un film. Un début et une fin, où seuls des paysages grandioses se succèdent – à la Malick – comme autant de marqueur d’une tragédie trop grande pour être comprise, absurde à l’excès comme cette consommation de vodka. L’éclipse d’Antonioni rode pas loin. Et l’émotion surgit alors, brillamment – la marche de la femme vers les falaises, l’apparition d’une baleine. Il y a une grandeur dans le cinéma de Zviaguintsev, à l’image de cette église à la fin qui se vide pour laisser s’en aller un cortège de 4×4 noires, qui te glace les sangs. Avec en filigrane cette absurdité de l’ami avocat venu sauver ce lieu des griffes du Maire, qui finira par lui-même indirectement l’anéantir. Le cinéaste filme ces lieux comme un monstre qui engloutit tout dans le silence, bien aidé par des institutions corrompues. La séquence de la grue et tout ce qu’elle représente restera pour moi comme l’une des images les plus fortes vues sur un écran cette année.
JanosValuska
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le 24 oct. 2014

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