Il y a des films qui restent longtemps dans notre pile de films à voir. On sait qu’on les verra un jour, mais que, pour l’instant, ce moment n’est pas encore arrivé. On sait également que l’on sera satisfaits de l’expérience, et on se demandera toujours pourquoi on a attendu autant avant de voir ce film. Lettre d’une inconnue faisait partie de ceux-ci, un de ces films hautement estimés, qui ne pouvait qu’être à la hauteur de sa réputation.


C’est par la fin que débute cette adaptation de la nouvelle éponyme de Stefan Zweig datant de 1922. Un pianiste reçoit une lettre écrite par une inconnue et, en la lisant, il va remonter dans le temps, revivre la vie de cette femme qui ne lui était peut-être pas si inconnue que cela. Construit sur un long flashback, Lettre d’une inconnue nous ramène jusqu’à la jeunesse de Lisa, alors qu’elle vivait dans un petit appartement avec sa mère. Destinée à une vie simple et sans histoire, c’est à l’ouïe de quelques notes de musique qu’elle bascula pour toujours. Un célèbre pianiste vient de s’installer dans l’immeuble, et Lisa tombe directement sous le charme. Sans avoir encore vu son visage, elle est envoûtée par ces mélodies, et se prend à rêver. Mais comment imaginer qu’un artiste de renom puisse s’intéresser à une jeune femme ordinaire ?


Lettre d’une inconnue raconte, donc, dans un premier temps, la quête de l’impossible. L’impulsivité d’un amour innocent et sincère qui fait croire en la réalisation des rêves le plus fous. Il y a énormément de candeur et de douceur, pour que, comme Lisa, nous nous laissions entraîner par cette fraîcheur communicative. Vient ensuite l’accomplissement, la consécration d’un amour, où il ne s’agit plus de rêver, mais simplement de vivre pleinement. Puis, fatalement, aux joies et au bonheur succèdent des désillusions et des trahisons, reflets négatifs d’une félicité innocente. Doux, léger, triste, élégant, cruel, nostalgique, Lettre d’une inconnue est un drame romantique d’une grande beauté, nous faisant vivre toutes sortes d’émotions, parvenant à nous toucher et à vivre quelque chose qui peut être difficilement expliqué.


Max Ophüls parvient ici à associer l’authenticité et l’onirisme avec, d’une part, ces personnages auxquels on s’attache, qu’on comprend, dont on suit l’évolution avec intérêt et, de l’autre, cette dimension pas tout à fait fantastique mais tirant sa magie en se trouvant dans l’ordre du souvenir, de ce qui fut, mais qui n’est plus. Car, en partant de la fin, le film nous plonge dans les souvenirs, dans une réalité qui fut mais dont nous ne percevons plus que des bribes ou des images éparses. Et ces souvenirs, constituant des briques ayant contribué au façonnement de l’existence, représentent autant de points du chemin entrepris jusqu’alors, que d’embranchements qui ouvraient la voie vers d’autres possibilités. Et c’est là que Lettre d’une inconnue parvient encore à faire rêver et à nous émouvoir, en faisant émerger chez le spectateur cette question : Et si… ?


Lettre d’une inconnue, ce sont autant de certitudes que de hasards, l’image d’un passé qui offrait maintes possibilités, où les choix qui étaient pris furent le début d’autant d’histoires que la fin d’autres. L’amour, cette force implacable et incontrôlable, se diffuse, et prend de multiples formes, jouant à un drôle de jeu pour tourmenter ces personnages. Joan Fontaine est resplendissante, autant dans la candeur naïve que dans le désespoir, et Louis Jourdan, bellâtre charmeur et élégant, lui donne parfaitement la réplique. Les fantômes du passé resurgissent et refont surface, nous laissant ensuite avec un irrépressible sentiment de nostalgie.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 30 avr. 2020

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JKDZ29

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