Dans les salles, personne ne vous entendra rire...

Si on se risquait à une petite histoire récente de la comédie américaine, nul doute qu'on retiendrait surtout les noms de Judd Apatow, Will Ferrell, Sacha Baron Cohen ou encore Todd Phillips. Si l'âge d'or de ces rigolos s'est, depuis, un peu tassé, leur style irrigue encore maintes séries et films qui rivalisent de situations trashs et de dialogues absurdes.


Et pendant ce temps, les précurseurs frères Farrelly peinent à monter leurs projets et s'imposent comme les derniers dinosaures de leur temps. Célébrés pour Mary à tout prix (leur chef d'oeuvre), Fou(s) d'Irène ou L'amour extra-large, la petite fratrie à ensuite essuyé plusieurs échecs souvent injustes avant de devoir vendre un peu de leur âme pour réaliser Bon à tirer. Du coup, les voir revenir aux affaires pour réaliser un projet de longue date et vraiment personnel mettait un peu de baume au coeur. Malheureusement, Les Trois Corniauds confirme la baisse de régime des frangins...


Derrière la stupidité de son horrible titre V.F (une constante dans l'exploitation des comédies U.S chez nous) se cache The Three Stooges, réinvention cinématographique d'un trio comique qui a fait les belles heures de la télévision américaine. Moe, Larry et Curly sont trois idiots un peu candides qui passent leur temps à se donner des claques, à se tirer les poils du nez et à enchainer les catastrophes synonymes de violence physique. On l'aura compris, les trois Stooges sont les héritiers de Laurel et Hardy, Chaplin ou Keaton, d'un humour slapstick et burlesque multi-fédérateur.


En ce sens, Les Trois Corniauds s'impose comme le film le plus familial des Farrelly car nul doute que les pitreries du trio amuseront les enfants. D'où également un côté très inoffensif dans l'humour qui aplatit complétement le film et le met au niveau (très bas) des nombreux produits familiaux de la Fox. Le script, qui opte pour la sempiternelle trame Blues Brothers, déçoit également beaucoup car incapable de trousser des situations originales et de sortir de sa voie toute tracée (là encore, un standard Fox). Enfin, la pauvreté visuelle du film fait peine à voir entre photographie dé-gueu-lasse et effets visuels (majoritairement mécaniques) complétement cheaps. Mais on aura beau pointer du doigt, avec raison, la Fox pour ses nombreuses responsabilités dans l'échec du film, il n'en reste que les Farrelly (réalisateurs, scénaristes, producteurs) sont également responsables...


Car ce qui succède à la déception, c'est l'incompréhension d'un tel revirement artistique. Autrefois papes d'un mauvais goût des plus exquis, d'une écriture de personnages impeccable et de scénarios millimétrés gorgés de situations hilarantes, les frères Farrelly semblent avoir vieillis et s'être rangés du côté des clowns tristes. L'échec en 2007 du très drôle Les femmes de ses rêves semble avoir eu raison de leur style si particulier, entre trash et tendresse, et l'exécution de leur opus suivant, Bon à tirer (simili-Very Bad Trip balisé), tenait presque de la commande.


Autrefois nourris d'une croyance sincère dans certaines valeurs (la différence, l'amour, la résistance face aux carcans sociétaux...), les Farrelly semblent avoir basculé du côté obscur et se retrouvent à vanter les valeurs les plus normatives dans des oeuvres calibrées et inoffensives. Comme fruit d'une inadéquation entre les anciens et les nouveaux Farrelly, Bon à tirer et Les Trois Corniauds sont des comédies problématiques car il est impossible d'y faire la part entre cynisme confondant et ironie sous-jacente.


En cela, Les Trois Corniauds s'appuie sur un humour de situation très visuel, burlesque, avec des accents de cartoon (effets sonores prononcés) mais il s'autorise parfois des éclairs de subversion Farrellyens (la none jouée par un homme, la bataille de pisse, le pet de sauvetage...) disposés comme autant de balises scatos prompts à rassurer les fans des frangins. Mais là encore, impossible de savoir si ces scènes sont réellement voulues ou simplement garantes artificielles du style Farrelly.


On retiendra la première solution pour une raison simple. Certes (il faudra s'y faire), les Farrelly ont grandis mais Les Trois Corniauds, aussi raté soit-il, reste un projet personnel dans son sujet. Fans absolus des personnages, le projet de ressusciter le trio est revenu ces dernières années comme un vrai serpent de mer dans la filmographie des frangins (avec des noms comme Sean Penn ou Jim Carrey au casting). Sa concrétisation n'est absolument pas à la hauteur mais il est louable d'avoir tenté le pari, d'avoir proposé de l'inédit (avec du vieux) dans la comédie U.S contemporaine. Car remettre le burlesque au goût du jour à l'époque de la comédie trash équivaut à rendre hype le télégraphe à l'heure de l'IPhone. Comme symbole de ce pont impossible entre les époques, la ballade du trio dans Los Angeles leur fait rencontrer des gens avides et mesquins et l'équipe de Jersey Shore fait, non sans ironie, un parallèle acide entre hier et aujourd'hui. De nouveau, le cynisme n'est jamais loin avec l'impératif commercial de citer des références contemporaines mais donnons le bénéfice du doute aux frangins et voyons-y un pied de nez à la société actuelle. Malheureusement infructueux.


Au final, le sujet semble bien être le principal problème. La candeur et l'innocence de l'humour des Trois Stooges, conservées dans le métrage des Farrely, n'ont définitivement plus leur place dans notre époque cynique. D'où l'impossibilité de les remettre au goût du jour sans en altérer la nature. Moe, Larry et Curly semblent ainsi les reflets de Peter et Bobby Farrelly, des rigolos perdus dans la mauvaise époque.


Certains pourront être charmés par le côté kamikaze de la chose mais entre une production empreinte de taylorisation, des réalisateurs le cul entre deux chaises et un sujet quelque peu daté (et très limité au public américain pour le coup), Les Trois Corniauds rejoint le tout-venant d'une production familiale américaine fade, générique et même pas drôle. Laissons-passer la pluie en espérant des jours meilleurs pour les Farrelly.

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le 8 août 2012

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Adrien Beltoise

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