♪ C’est un gros roman, qui bêle son histoire…♫

Il est des sujets plus sacrés que d’autres : quand on s’attaque à la littérature, il faut avoir les reins solides. Ce polar envisage une intrigue autour de la traduction ultra sécurisée d’un best-seller à venir, enfermant sur le bon vieux mode Agatha Christie une brochette de candidats à la suspicion quant à l’inévitable fuite du roman en question, avec demande de rançon à la clé.


Evidemment, lorsqu’on aborde ce registre, il n’est peut être pas très pertinent de hausser le niveau d’exigence : après tout, le page turner a son équivalent au cinéma, en témoigne la réussite sympathique qu’eut récemment A couteaux tirés dans les salles (si si, souvenez-vous, il fut un temps où les projections étaient publiques, et dans l’obscurité. C’était bien.)


Mais lorsque le récit en question oppose l’amour de la littérature aux basses considérations mercantiles d’un agent cynique, vous cite du Inter folia fulget, Joyce, Rousseau et consort, forcément, ça titille un tantinet. Et le film se vautre, un peu comme La Vérité sur l'affaire Harry Quebert, ce roman bas de gamme qui faisait l’erreur d’évoquer un œuvre littéraire hors-norme en citant des passages d’une mièvrerie confondante.


En réalité, il n’a pas fallu attendre bien longtemps avant de se rendre compte que ce polar de confinement (pas de bol pour la prophétie, mais leur bunker coupé du monde semble aujourd’hui pour le moins éculé) nous conviait à la catastrophe. Le jeu des comédiens ouvre le bal, avec Lambert Wilson en fer de lance, qui joue la méchanceté vénale comme le ferait Nicolas Cage en trader, entouré par une bande de seconds couteaux dont l’accent non francophone est à l’unisson du sentiment de fake généralisé. Les scènes collectives sont embarrassantes de surjeu, (enthousiasme, catalogue de peudo caractères complémentaires, offuscations et larmes), et incarnent laborieusement une écriture qui, reconnaissons-le, ferait mal jouer n’importe quel monstre sacré. Réflexions sur la littérature (la vraie, celle du cœur qui fait surgir le vrai), citations à gogo, procuration, de ces livres qui vous sauvent un homme, vous savez, genre-le-livre-pare-balle-dans-la-poche-de-ton-gilet, ici, excusez du peu, La Recherche de Proust, what else ?, considérations sur la force démiurgique d’un auteur (vous savez, avec ces images-de-plans-machiavéliques-avec-des-cartes-et-des-clichés-volés-qui-recouvrent-tout-le-plancher-d’un-loft) viennent aggraver la situation en matière d’écriture.


Et tout cela sans même parler de cette intrigue lamentable, qui annule la supposé saveur de ses différentes étapes par une série de révélations aussi inintéressantes que tirées par les cheveux, pour s’embourber dans une surenchère elle aussi bien gênante.


Lors d’une séquence de twist grotesque parmi d’autres, Sara Giraudeau (à qui on fera la faveur d’oublier cette tâche sur sa filmographie) sort au méchant cette formule d’une telle puissance qu’on la croirait elle aussi traduite du latin : « Eric, j’aime vraiment la littérature. Alors, allez-vous faire foutre ».


Et franchement, elle retire les mots de la bouche du spectateur.

Sergent_Pepper
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le 8 mai 2020

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Sergent_Pepper

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