Avec Modern Times, mon premier Chaplin s’avère être son dernier Charlot : personnage iconique s’il en est, le vagabond moustachu est le pendant tout désigné de cette figure reconnaissable entre mille du Septième Art, dont l’histoire et l’émergence s’est écrit en partie dans ses pas. Le long-métrage, réalisé et scénarisé par ses soins, croisait pour sa part des thématiques dramatiques aux tribulations comiques de son anti-héros, gage d’une persistance remarquable dans la mémoire collective.
L’imagerie liée à l’usine, alors ancrée dans l’essor industriel et ses diables de tapis roulants, parle ainsi à tout un chacun : pourtant, le cadre du travail à la chaîne n’est qu’une fraction de Modern Times, sa première brique dans l’ébauche d’une satire patente. Jouant sur les rythmes et l’énergie dynamique de l’ouvrier, il rend parfaitement compte de l’incongruité abrutissante de la pratique, nourrissant déboires et quiproquos à son encontre : le procédé se veut donc très binaire, voire bête et méchant comme lors de l’épisode de la « cantine », oscillant ainsi entre efficacité et paresse.
Le contexte de la Grande Dépression s’ouvre davantage par la suite : par l’entremise de la « gamine », campé par une Paulette Goddard proprement rayonnante, ainsi que par les tribulations hautes en couleurs d’un vagabond se plaisant mieux entre les murs de sa cellule. Sans abandonner sa gouaille, Modern Times dépeint parfaitement de la précarité ambiante à l’œuvre, une toile de fond conférant à ses élans comiques et vaudevillesques une saveur douce-amère : l’illusion d’une vie de famille improvisée dans une cabane délabrée n’y est pas pour rien.
S’alliant pour mieux affronter les malversations d’une vie rude, le vagabond et l’orpheline forment une paire attachante, parfaits vecteurs d’aléas et opportunités immanquables. Toutefois, outre ses trucages et cabrioles marquant la rétine (celle des patins à roulettes notamment), Modern Times demeure relativement sage : privilégiant une ambiance bon enfant à celle d’une réalité pourtant désespérante, son humour n’est jamais hilarant, ses réflexions et son ironie rarement remuantes. Certes à même de perdurer dans le temps, accroissant de facto son capital sympathie et son aura culte, son visionnage n’est pas ou peu bouleversant.