Qui s'attendrait à un simple film "de pédé" en regardant "Les Roseaux Sauvages" prendrait le risque d'être déçu (sa présence dans le classement des meilleurs films gays me paraît d'ailleurs relativement trompeur). Car d'homosexualité, il est finalement assez peu question.
Prenant comme cadre les années 60, Téchiné livre ici une oeuvre d'initiation, où les corps et les convictions s'entremêlent, s'entrechoquent avec la violence inhérente à toute première fois.


Si l'Histoire est d'abord omniprésente à la narration - à travers la guerre d'Algérie, les différentes convictions des personnages, la radio d'Henri qui laisse échapper des brides du front - elle s'efface progressivement au profit des individualités, rappelant ainsi au spectateur que Serge, François, Maïté et Henri sont à l'image de la France d'alors, empêtrée dans ses vieux démons colonialistes : tiraillés entre une insouciance juvénile qu'ils tentent de conserver et leur lucidité quant au fait que la société est en pleine mutation, qu'il faut donc bouger avec.


Ce mouvement continu des personnages n'est pas ce qui saute aux yeux au premier coup d'oeil, et pour cause : il est donné à voir à travers les barrières, les oppositions, que rencontrent les quatre protagonistes dans leur quête d'identité et leurs expériences. Partout où les relations se montrent, partout où les liens se tissent, des obstacles.
Entre François et Serge d'abord : les murs qui séparent la chambre de Serge et celle de François amène la frustration tout autant qu'ils attisent le désir de ce dernier, désir qui connaîtra une seconde barrière - cette fois définitive - dans l'hétérosexualité de Serge. Puis viendra le tour d'Henri et de Maïté qui verront leur attirance mutuelle contrariée par leurs opinions politiques divergentes et leur amour tué dans l'oeuf par l'incapacité de la jeune fille à considérer les hommes comme à ne pas être effrayée par eux.


Cette idée de "l'amour contrarié" connaîtra son paroxysme dans la scène finale, émouvante, dans laquelle la passion cède sa place à une affection moins intense, affadie dirons certains : l'amitié.
De fait, si ma critique semble présenter un film quelque peu fataliste, voire déprimant, il n'en est rien : c'est la nostalgie d'un homme mûr pour son adolescence, mais surtout pour une époque chérie, qui nous est montrée. "Les Roseaux Sauvages" n'est ainsi ni plus ni moins qu'une ode à la jeunesse, à la solidarité inébranlable qu'il peut exister entre amis, tout autant qu'un appel à l'expérimentation et donc à l'aventure intime que chacun de nous fait de sa vie.


Il n'y a rien de plus universel.

AmasdeMolecules
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 26 sept. 2014

Critique lue 1.9K fois

11 j'aime

4 commentaires

AmasdeMolecules

Écrit par

Critique lue 1.9K fois

11
4

D'autres avis sur Les Roseaux sauvages

Les Roseaux sauvages
AmasdeMolecules
7

Les amours contrariés

Qui s'attendrait à un simple film "de pédé" en regardant "Les Roseaux Sauvages" prendrait le risque d'être déçu (sa présence dans le classement des meilleurs films gays me paraît d'ailleurs...

le 26 sept. 2014

11 j'aime

4

Les Roseaux sauvages
Zogarok
7

« De toutes façons tu comprends rien : t'es un pédé immature et bourgeois en plus » (y)

C'est d'abord un téléfilm pour Arte : Le chêne et le roseau, pour la collection 'Tous les garçons et les filles de leur âge', consacrée à l'adolescence. Il devient ensuite un long-métrage...

le 14 déc. 2015

5 j'aime

Les Roseaux sauvages
EricDebarnot
8

Romanesque, politique, sensuel et responsable

Les "Roseaux Sauvages" constituent presque un choc, tant ce petit film, à l'origine une commande d'Arte reconstruite par André Téchiné au format long-métrage, dégage une lumière et une justesse...

le 6 févr. 2017

5 j'aime

3

Du même critique

Blue
AmasdeMolecules
9

"Our name will be forgotten. In time, no one will remember our work"

C'est l'une des dernières phrases de ce film qui n'en est pas un. Non, "Blue" de Derek Jarman n'est pas une oeuvre cinématographique, c'est un poème, entrecoupé de souvenirs tour à tour tristes ou...

le 18 févr. 2014

15 j'aime

1

Les Roseaux sauvages
AmasdeMolecules
7

Les amours contrariés

Qui s'attendrait à un simple film "de pédé" en regardant "Les Roseaux Sauvages" prendrait le risque d'être déçu (sa présence dans le classement des meilleurs films gays me paraît d'ailleurs...

le 26 sept. 2014

11 j'aime

4