"Entre la nuit,
La nuit et l'aurore,
Entre le royaume
Des vivants et des morts..."

(Arcade Fire, "Reflektor", 2013).

On ne saurait peut-être trouver de meilleurs mots en guise d'introduction à ce bel OVNI cinématographique. Pour son premier film, Yann Gonzalez, niçois de naissance, s'autorise pratiquement tout. Déjà, il s'offre les service de son frère antibois, un certain M83 - une broutille. Ensuite, pour un budget que l'on devine limité, il laisse place à quelque chose que le cinéma actuel a une fâcheuse tendance à laisser de côté : l'invention.

Invention(s) donc. D'un dispositif, celui de l'anti-partouze. Les ébats à plusieurs, ces fameuses "rencontres", sont le prétexte pour lancer la narration du film, après un beau prologue onirique et funèbre. Mais bien vite, malgré une audace et une tension sexuelles évidentes, on devine que l'acte sera repoussé le plus longtemps possible, voire même éludé. Le sexe, ou pour le dire autrement, le désir, est ce qui justifie la présence, l'existence même de ces sept personnages. Tous ne sont pas nommés : il y a un trio de tête, Ali, Ude et Mathias, campé par des interprètes au sommet (respectivement Kate Moran, Nicolas Maury et le décidément doué Niels Schneider), et puis il y a les invités. La chienne, l'étalon, l'adolescent - on apprendra qu'il s'appelle Sacha - la star. Les rares autres personnages ne sont qu'apparitions (les flics), objets vivants (les hommes nus), analepses (Béatrice Dalle). Invention enfin, de ce merveilleux juke-box sensoriel qui distille à l'envi une musique épousant l'humeur de son utilisateur. Répondant aux besoins de cette invention, M83 compose une partition belle et vibrante, parée d'atour multiples et de registres étonnants, et renforcée par quelques titres additionnels.

Parmi les autres plaisirs que procure ce joli film, citons une photo léchée, tout en lumières bleues ou rouges, utilisant les capacités les plus extrêmes de sa définition pour des images très sombres, fantomatiques qui rappellent tour à tour les récents essais de "Twixt" ou de "Amer". La mise en scène et le jeu des acteurs paraîtront probablement très théâtraux, mais la théâtralité du film me semble en adéquation avec son projet esthétique. Le texte est sublime, d'une force poétique rare, les mouvements, hiératiques, semblent chorégraphiés et l'on pense tantôt à Genêt, tantôt à Ionesco, surtout lors des scènes finales. Et le film assume totalement sa part d'artificialité lors de séquences oniriques ou de flash-back poétiques où l'épure des décors de studios donnent au tout l'atmosphère d'un conte érotique et funèbre.

Car derrière la sexualité décomplexée, plurielle et libre qu'exalte dans un premier temps le film avec candeur et mutinerie se dessine peu à peu une mélancolie toute houellebécienne (mais sans le glauque). Chaque personnage ressent le poids de son passé et doit préalablement se confier aux autres avant de pouvoir prétendre à la sensualité. Ces monologues et récits individuels ont chacun leur part de douleur mais aussi d'humour et le film reste en permanence sur le fil du ridicule, du grivois, voire du grotesque. Cette frontalité et ce second degré font plaisir à voir et le film n'a rien d'hypocrite. Tout cela est extrêmement inventif et fait un bien fou par sa fraîcheur et son originalité, mais le film finit par accuser quelques longueurs dans son dernier tiers, qui se perd un peu dans une succession de scènes "méta" poétique un peu gratuites, où la rigueur théorique et l'épure esthétique laissent place à des délires (la mort, la plage, la salle de cinéma) qui se tiennent et se justifie moins. Néanmoins, les dernières scènes du film sont d'une beauté infinie et l'orgie telle que le film se décide à nous l'offrir est un très beau moment.

Étonnant de voir les différentes histoires que nous racontent presque simultanément et sur des média différents des artistes aux univers bien distincts : le mythe d'Orphée et le triomphe de l'amour sur la mort sont ainsi des thèmes qui ont le vent en poupe. Ici, plus qu'un film sur une partouze qui essaie d'advenir, on assiste au passage de témoin entre un être qui n'appartient plus à notre monde et un jeune homme avide de nouvelles expériences. Une cellule se décompose, une autre se forme, le désir est un ciment qui guérit les plaies des âmes blessés. Émouvant et inégal.

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le 13 nov. 2013

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Krokodebil

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