Le grand mutilé

Avis sur Les Rapaces

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"Je pourrais vous parler trois semaines sans m'arrêter, sans pouvoir vous rendre le moindre compte de la douleur qu'à engendré la mutilation de mon œuvre sincère" (Erich Von Stroheim).

9 heures réduites à 140 minutes (de 42 bobines à 18, puis à 10) par la production pour cette œuvre diminuée de ses scènes les plus dures, Les Rapaces est considéré comme l'unes des plus grandes pertes de l'histoire du cinéma, et l'un des dix plus grands films ayant existé... qui ne fut vu intégralement que par une poignée de spectateurs durant une séance unique.

Adaptation intégrale d'un roman de Frank Norris, tourné uniquement en extérieur, aucune séquence n'ayant été réalisée en studio, les Rapaces bénéficie d'un souffle extraordinaire. Dès le départ, nous comprenons que nous avons affaire à un film sombre, noir et dramatique qui finira mal, mais qui heureusement ne nous laisse pas deviner comment (et c'est là ce qui fut pour moi l'un des points forts de cette oeuvre : cette fin dont je ne voudrais pas parler mais qui est splendide, rarement égalée et qualifiée de mythique, digne d'un Sergio Leone avant l'heure...)

Un univers monstrueux, sans concession dont le plus fou est désormais visible dans la partie reconstitué depuis 1999 suite à un remontage qui utilise des photos de tournage en plan fixes intercalés et nous laisse voir, deviner le plus glauque, en somme le meilleur.

Avec ses passages en couleur, ou avec des morceaux de bobines (qui représentent en général, l'or) colorées, qui tranchent, brisent la noirceur du récit ou encore avec cette scène qui revient, leitmotiv allégorique, de mains tremblantes qui brassent de l'or, aux bras rachitiques, le film peut laisser sans voix.... Ce montage accentue encore le côté monstrueux, unique des Rapaces...

Les personnages, quant à eux, grandiloquents sont de vrais «freaks» uniques et fous furieux, enfants d'une humanité noire et pessimiste, touchés par le désir de possession, («Greed», titre original du film), qui les démonte et en font des pantins inhumains qui ont perdu leur âme, le sens du partage et la rationalité.

Mais les qualités ne s'arrêtent pas là : comment ne pas savourer la mégalomanie qui s'en dégage et qui est confirmée par des lectures sur Stroheim : «Erich von Stroheim a tenu à tout tourner dans les lieux réels (...) Il fit rouvrir la mine d'or qui figure dans le livre, il traîna dans la Vallée de la Mort toute son équipe qui se mit à le haïr pour ces conditions épouvantables (...) et la chaleur fut si insupportable pour l'acteur principal qu'il passa plusieurs semaines à l'hôpital»

Les Rapaces est l'incarnation du film maudit qui en a, en plus, l'apparence et le thème, la forme et le sens...

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