Les Rapaces est un film monstre, hors norme, battant en brèche toutes les conventions hollywoodiennes de l’époque, une fresque que l’on pourrait hâtivement circonscrire au naturalisme mais qui confine parfois au « réalisme fantastique » tant elle foisonne de détails incongrus, surprenants, morbides et baroques, et de personnages pathétiques souvent terrifiants. Cupidité, bêtise, perversion sexuelles, pulsion de mort, Eros & Thanatos, tout est-là, tout s’interpénètre dans un fracas de séquences pour la plupart devenues anthologiques. Les Rapaces est une œuvre cendreuse, pessimiste et venimeuse, sans concessions ni illusion sur la nature humaine. La scène du baiser, aux accents nécrophiles, où Mc Teague embrasse à pleine bouche sa patiente anesthésiée et étendue sur le fauteuil de son cabinet dentaire ; la promenade « romantique » prés des égouts ; les gueules grimaçantes de la belle-famille lors de l’improbable cérémonie nuptiale qu’un convoi mortuaire viendra troubler ; les terribles transformations physiques de Trina rongée par l’avarice ; et bien évidemment les séquences finales brûlées par le soleil meurtrier de la Death Valley… tout dans ce film aux audaces formelles bluffantes respire la déliquescence et la mort.

Stroheim avait conçu un film cyclopéen, une œuvre fleuve constituée de plus de 35 bobines, soit une projection de plus de 8 heures. Le producteur Irving Thalberg, qui s’était déjà opposé à Stroheim sur le tournage de Folies De Femmes, exigea de nombreuses coupes. Stroheim s’y opposa violemment mais le film fut tout de même mutilé et réduit à une durée plus raisonnable. Certaines séquences coupées furent à jamais perdues et le metteur en scène renia son œuvre. Plus tard, encore rongé par l’amertume, Stroheim affirmera à un journaliste : « Je n’estime n’avoir fait qu’un seul film. Mais personne ne l’a vu. Les quelques malheureux lambeaux subsistants ont été présentés sous le titre Les Rapaces… ».
Malgré les mutilations subies, Les Rapaces, souvent présenté aujourd’hui dans une version de 150 minutes ( Il existe aussi, paraît-il, une version de 4 heures, restaurée et enrichie d’intertitres et de photos de tournages en plan fixe. ), reste un film puissant. Les films suivants de Stroheim connaîtront d’analogues avaries : scandales et incompréhension des pontes des grands studios… Stroheim abandonnera alors la réalisation et se bornera à faire l’acteur… ....

Billy Wilder : Vous savez pourquoi vous avez été incompris ? Parce que vous aviez dix ans d'avance.
Stroheim: Non, vingt ans…
StefSt
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le 16 févr. 2013

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