C'est quoi un film loupé ? C'est quand on ressort frustré. Et pas que nous, d'ailleurs - quand on a cette impression dérangeante que le réalisateur, lui aussi, est tout bonnement frustré de ses propres images.
Coppola est une réalisatrice de l'ennui - c'est là qu'elle excelle, qu'elle emporte son public, ses comédiens, ses images. C'est loin d'être un défaut. Il faut du courage, du talent et beaucoup de doigté pour parler de l'ennui. Il faut avant tout un excellent sens du rythme : chez Coppola, ça n'a jamais été un problème. Il est toujours délicieux de voir à quel point elle manie le temps, à quel point elle réussit toujours à savoir où prendre son temps, où laisser couler, où poser puis détourner le regard. Toujours. Ou presque toujours.
Ce n'est pas que Les Proies soit un mauvais film. C'est qu'il passe à côté, juste à côté, d'être un très bon film. Le décor surnaturel des bayous du sud, la grâce des actrices, le talent de Farrell et la lumière délicate ne parviennent pas à faire pencher la balance, et pour une raison très simple - il me semble que Coppola, pour la première fois, ne gère plus son rythme. Combien d'images magnifiques, dans ce film, sont coupées trop tôt, trop promptement, combien de plans serrés minutieusement deviennent rapidement trop sombres, baclés. Un film loupé, et je le pense réellement, c'est un film où l'on nous retire des images que l'on aurait voulu regarder plus longtemps. L'ennui est un sentiment lent : Coppola le sait bien, pourtant, et elle en fait d'ailleurs le sujet principal de son film. Les filles s'ennuient, elles s'ennuient tellement que la moindre petite anomalie dans leur quotidien devient prétexte à laisser ressortir le pire d'entre elles. Mais, en une toute petite heure et demie, difficile de laisser s’immiscer ce sentiment délicieux de lenteur et de léthargie qui est d'habitude la grande force de Coppola. Les paysages sont filmés trop vite, les personnages (peut être trop nombreux ?) sont survolés, le silence est toujours perturbé. Parce que le film ne prend pas le temps de détailler son ses héroïnes, certaines jouent carrément mal - Elle Fanning, d'ordinaire bluffante, se révèle fausse, maniérée, presque caricature d'elle même. Kidman est un frère Bogdanov en passe de devenir une statue au musée Grévin. Seule Kirsten Dunst, d'une justesse incroyable, passe entre les mailles du filet.
Alors, oui, on ressort frustré, et agacé, un peu nostalgique du cinéma Coppola "pure souche". Un peu déçu, peut être, comme toujours lorsque l'on regarde un objet cinématographique qui aurait pu être presque ça... mais qui ne l'est finalement pas du tout.