Le film entremêle trois voix par lesquelles tout traverse, tout se transmet toujours, tout arrive à destination : celle de Charlotte Gainsbourg, mère idéale, femme fragile mais vaillante, débarrassée de tout désir de revanche, simplement prête à vivre enfin après quelques années de maladie et de disparition dans un couple défait, et qui offre à son fils, par sa sensibilité, sa manière d'accueillir (accueillir les voix qui appellent le standard tous les soirs pour l'émission de radio où elle officie, accueillir la jeune fille qui n'a nulle part où dormir), son premier amour, et la possibilité d'inventer sa vie à sa façon ; celle d'Emmanuelle Béart, dont l'intégrité et la force soutiennent tout un monde, tout un peuple d'insomniaques blessés, qui manquent de se confier, et à qui elle accorde sa confiance, son écoute, ses nuits blanches ; celle de Noée Abita, ressuscitant la voix d'une autre actrice, Pascale Ogier, qui traverse le film comme un fantôme resurgi des années 80, secret mal gardé de cette époque au bord de la catastrophe. Tout se donne à travers ces voix, tout se dit, et surtout l'essentiel : l'amour, la confiance en l'autre. Le film est utopique : le travail surgit dans la vie de Charlotte Gainsbourg comme un rêve enfin atteint, la famille est un lieu sécurisant mais pas clos, ouvert à ce qui vient, à la musique des voisins, à la jeune femme à la dérive, les personnages sont pleins d'une grande bonté, et ne connaissent aucun ressentiment. Les ellipses permettent de créer cette étrange illusion : en 1984, le fils ne va plus beaucoup au lycée ; en 1987, il travaille à la piscine ; personne ne le déplore, et lui non plus ne s'en plaint pas, il fait ce qu'il a à faire, il aime lire et c'est tout, et personne ne trouve rien à redire à cela. Mikhaël Hers joue beaucoup de cette capacité qu'il a à transfigurer les relations humaines, à dissocier le beau du sordide (et en ce sens, on peut considérer qu'il est à l'exact opposé de Bergman par exemple) ; dès lors qu'il évoque le sordide, on voit bien qu'il n'a pas grand chose à en dire (les quais où traîne Noée Abita pour se droguer semblent sortis d'un imaginaire très romantique) ; et d'ailleurs, son cinéma entend réparer quelque chose de ces années-là, puisque Noée Abita, au contraire de Pascale Ogier, se sort de la drogue, survit, devient ouvreuse de cinéma, n'abuse pas de la fascination qu'elle suscite sur le jeune homme chez qui elle était hébergée pendant tout ce temps, etc... Le mal est absent du film ; son ombre plane un peu, mais alors il s'agit surtout du futur. Une furtive conversation entre Béart et Gainsbourg annonce la couleur : l'émission est en danger, car elle ne souffre d'aucune concurrence ; bref, c'est le libéralisme qui arrive, la compétitivité, les questions d'audience. On ne pourra plus écouter celles et ceux qui veulent confier leur peine une nuit où le sommeil leur manque ; on ne prêtera plus attention qu'à ce que font les autres ailleurs, aux endroits où l'on n'est pas, pour tenter de faire comme eux, d'empiéter sur leur territoire, toujours plus enviable. Le film de Mikhaël Hers n'échappe pas au "c'était-mieux-avant" que les images d'archive, fétichisant le paysage parisien, induisent par leur texture fragile, fantomatique et trouble. Au détour d'un plan, c'est Rivette qui surgit, simple figurant dans le wagon d'un métro. Indiana Jones, Les Nuits de la pleine lune, Le Pont du Nord, l'élection de François Mitterrand : le monde culturel et politique de l'époque est ranimé le temps d'un film, et nous n'avons pas d'autre choix que de le trouver beau. C'est à cet endroit-là, précisément, de la reconstitution, que le film déploie sa sensibilité, dépendante d'un temps, fidèle, un peu tricheuse aussi, mais trouvant dans la tricherie (ou la réparation, peu importe) la matière d'une fiction.