(Liminaire – sur le titre du film, qui pourrait trouver sa place dans la liste de Guyness « profession traducteur ».
http://www.senscritique.com/liste/Je_suis_bete_a_manger_du_foin_je_n_ai_aucun_sens_artistique/73873
• Titre original : the Human capital- d’ailleurs expliqué à la fin du film, intéressant, pas forcément commercial ;
• Traduction « les Opportunistes » ??? Sans aucun lien avec le film, avec un potentiel commercial encore plus nul. Que s’est-il passé dans la tête des producteurs ?
• Conclusion – de la manière de détruire dès sa sortie toutes les chances d’un film pourtant intéressant, et dont personne où presque, n’a entendu parler … de profundis.)

PROLOGUE : (apparemment hors sujet) – un employé de restaurant termine (tard) son travail quotidien, rentre chez lui de nuit et à vélo, et s’apprête à croiser sur une route étroite des véhicules roulant à grande vitesse.
Puis on passe à autre chose : autres protagonistes, autres mondes.

RASHOMON, Italie, 2014

Le même récit, dans la même fourchette chronologique, raconté par trois acteurs différents et essentiels. Ne reviennent en échos que des bribes qui servent de repères, de balises (les trois témoins privilégiés qui se croisent dans la grande propriété des Berluschi, les mêmes qui se retrouvent au grand repas festif de l’école pour la remise des prix aux étudiants …) autour d’actions très différentes, mais aussi de pièges (la mère découvrant fils et compagne allongés sur le lit), d’éléments clés et masqués. Ce n’est qu’à la fin du troisième récit qu’apparaîtront les fragments d’une autre histoire, d’un bouleversement qui va (peut-être) tous les emporter.

ALTMAN

Ces variations apparentes autour d’une même base ne servent pas seulement à découvrir peu à peu une vérité qui échappe. Elles redéfinissent surtout les liens entre les acteurs, les défont plutôt, d’écho en écho, les entrecroisent de façon très chorale, à la manière de Robert Altman.

Et plus encore : les trois récits enlacés sont essentiels pour l’évolution du film et des thèmes. On peut craindre au début, avec le récit de Fabrizio Bentivoglio (un bouffon, effectivement, comme le soulignera la femme de Berluschi), d’être confronté à une purge sur le monde des affaires –avec jeux d’argent, de placements, de rapaces et de pigeons, tous du reste aussi détestables.

Mais les deux histoires qui suivent ouvrent des perspectives très différentes, et témoignent même (quoi qu’aient pu en dire nombre de critiques) d’une certaine empathie avec les personnages – à tout le moins les femmes et les jeunes. Même si les rêves de Mme Berluschi, Valeria Bruni Tedeschi confinée (mais à son avantage dans son personnage de pauvre femme riche et dépressive) dans ses rêves d’évasion, d’art, de théâtre, d’amours illusoires, telle une Emma Bovary incapable de sortir de son milieu et des apparences, ou Serena (Mathilde Gioli, une découverte), fille de l’agent immobilier pathétique et rêvant de fuite, de tout larguer avec un jeune déclassé.

The Human Capîtal est plus un film sur la fuite que sur l’argent.

Ou plutôt sur l’illusion de la fuite.

BERLUSCONI

Car le scénario (tiré pourtant d’un roman américain) et ses trois récits éclatés composent en fait un portrait dévasté de l’Italie contemporaine. Tous les projets initiaux, ignobles (placer son argent, en quantité énorme, et même l’argent qu’on n’a pas – en spéculant sur la faillite de son pays), ou plus nobles, ou plus illusoires (sauver un théâtre, vivre un nouvel amour), tous ces projets sont balayés par l’irresponsabilité et la bêtise des acteurs, par leur ridicule (le colloque des spécialistes du théâtre en parallèle avec celui des hommes d’affaires) et leur mesquinerie, par les pesanteurs sociales, par la merde du monde (où alcool et drogue trouvent aisément leur place), et surtout par un événement, anecdotique apparemment, dramatique, et qui va servir de révélateur pour toute cette pourriture ambiante – la rencontre de ce monde-là avec un cycliste sur une route étroite et par une nuit très obscure.

LE CAPITAL HUMAIN

Ou le retour à « l’anecdote initiale ». Le bilan somme toute ne peut pas être si mauvais. Surtout si l’on a pris soin de parier sur l’effondrement de son pays. On ne pourra pas tomber aussi bas que lui. On devrait même s’y retrouver, se refaire dans la durée, retomber sur ses pieds – et même offrir une compensation (le fameux « capital humain », défini à l’extrême fin du film, l’adjectif « humain » n’apparaissant qu’à ce moment-là) à la seule vraie victime.

Tous les comédiens trouvent assez remarquablement leur place dans ce jeu de massacre – où leurs personnages se révèlent finalement plus pathétiques que monstrueux.

La conclusion d’un film qui mérite le détour, bien au-delà des trois récits, ne peut être que cynique et on peut effectivement entrevoir à nouveau l’ombre de Robert Altman rôdant dans les parages.

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le 22 nov. 2014

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