Quand on pense... enfin quand on a envie de penser à quelque chose de positif sur Paris, un des trucs à venir à l'esprit, c'est une esthétique architecturale haussmannienne. Et pas du tout les nombreux immeubles modernes, donc tout moches, tout ternes, situés dans le 13e arrondissement de la capitale et donnant son nom au titre du film. Placer son intrigue ici (ah oui, je n'ai pas lu la BD adaptée, ce qui a pour conséquence que je n'en dirai rien !), c'est a priori la promesse d'avoir un ensemble désagréable pour l’œil. Eh ben, pas du tout du tout. C'est même le contraire qui se passe. Jacques Audiard, dans ses meilleures heures, peut être un type très talentueux (spoiler alert : ici, il l'est !) et il a compris que quoi de mieux qu'un noir et blanc magnifique (bravo au directeur de la photo, Paul Guilhaume !) pour sublimer le laid, pour le rendre beau, pour nous pousser à avoir un autre regard. Et je vous ai parlé du plan fantasmagorique sous la pluie où la protagoniste d'origine chinoise court le cerveau pété sous acide ? Non, franchement, c'est un régal pour les mirettes.


Alors pour aller vers le fond, après l'enthousiasme pour la forme, j'ai beaucoup aimé ces portraits de jeunes personnes vivant dans et utilisant notre monde hyperconnecté pouvant permettre le pire (ah le slut shaming, une des manifestations les plus crasses et hypocrites de la bêtise humaine, n'ayant pas attendu Internet pour exister, cependant particulièrement bien aidé par ce dernier !), mais pouvant donner aussi lieu au meilleur. Oui, il ne faut jamais désespérer, un malheur peut parfois enclencher un mécanisme qui aboutira au bonheur. Oui, Audiard a résolument choisi le parti de l'optimisme. Et j'ai envie de dire "pourquoi pas". Pourquoi devrait-on se laisse réduire en bouillie avec une tronche d'enterrement lors chaque seconde de notre vie ? Pourquoi ne pas la rendre dans la mesure du possible la plus vivante possible ?


Dans tout cela, c'est aussi la frustration quotidienne, d'ordre personnel ou/et professionnel. Les petits boulots alimentaires pour la jeune Asiatique, après l'arrêt de ses études à Sciences Po, asociale et écrasée par une famille lointaine, mais exigeante. Pour le professeur un peu trop franc du collier pour le bien de ses proches, aimant le contact avec les élèves, aimant enseigner son savoir, mais qui en a marre constamment de subir des réformes aberrantes bien appliquées pour l'empêcher de faire correctement son métier. La Bordelaise fraîchement débarquée dans la Ville Lumière, autant pour changer de voie que pour s'éloigner géographiquement et mentalement de son passé, qui retourne à un emploi d'agente immobilière après avoir reçu une bouffée douloureuse de connerie humaine. Et un quatrième personnage bien de l'époque du net, mais je vous laisse le plaisir de la découverte. Malgré leurs défauts et parce que ces derniers révèlent qu'ils sont humains et faillibles, parce qu'ils vont faire l'effort d'aller vers l'autre, on s'y attache à ce petit monde.


Donc, pour en revenir à la frustration, chacun essaye d'apaiser celle-ci à travers une activité sexuelle intense (mais qu'est-ce qu'ils baisent dans ce film !). Ce qui donne lieu à beaucoup de séquences dénudées dans lesquelles les interprètes se donnent corps et âme, mais sans que cela vire dans la gratuité, car le contexte scénaristique (que j'ai cité précédemment !) est bien posé, le justifie. Et sans que cela vire au fantasme masculin, se foutant comme d'un préservatif usagé du plaisir féminin. C'est certainement pour éviter de tomber dans ce piège et aussi bien sûr pour donner plus de vérité à ses caractères du sexe de Vénus qu'Audiard a coécrit le tout avec Céline Sciamma et Léa Mysius.


C'est superbement filmé, c'est impeccablement écrit. Que rajouter d'autre à cette suite de compliments ? Ben, un élément essentiel : les acteurs et les actrices. Que Noémie Merlant et Jehnny Beth soient excellentes, c'est très agréable à voir, mais je sais qu'on est en droit d'attendre ce niveau de brillance venant d'elles. Mais, par contre, déjà que j'ai été effaré de voir que Makita Samba a peu d'expériences au cinéma (parce que j'ai eu l'impression d'un grand habitué de la caméra !), que dire de Lucie Zhang. J'ai encore du mal devant tellement d'aisance à intégrer le fait qu'elle est soit une débutante, que ce soit son premier film. En tous les cas, Audiard est un sacré directeur d'acteurs et surtout (ici !) d'actrices.


Et ce qu'il montre aussi, c'est qu'il est sacrément jeune pour son âge, en donnant une chronique aussi fraîche, aussi énergique, embrassant son temps tout en donnant une épaisseur emballante à son récit et au quatuor qui le fait vivre. Ben oui, j'ai kiffé, je m'incline.

Plume231
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le 2 nov. 2021

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Plume231

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