Après le brillant La Loi de Téhéran (2021) c'est ma deuxième confrontation au cinéma iranien et tout comme pour le film de Saeed ROUSTAEE j'ai été passionné par la façon dont le film peint un aspect de la société iranienne que l'on est loin d'imaginer a priori avec notre vision occidentale biaisée. Le véritable fléau de la toxicomanie et ses conséquences sociétales dans "la loi de Téhéran", la prostitution ici. Dans les deux cas, ces réalités viennent montrer les limites factuelles d'une théocratie rigoriste, fondamentaliste face à la vérité du monde.


Inspiré de faits réels survenus aux débuts des années 2000 dans la ville sainte de Mashhad où un tueur qui avait assassiné plusieurs jeunes femmes qui s'adonnaient à la prostitution, avait traumatisé les femmes mais avait dans le même temps passionné une partie de l'opinion publique, qui influencée par l'idéologie théocratique dominante du pouvoir dictatorial en place, s'était montrée solidaire de ce tueur qui aurait été investi d'une mission divine visant à purifier la ville.


En réalité, et ça le film n'en fait aucun mystère, le tueur aura beau se draper dans une vertu de façade qui pourra tromper quelques esprits dominés par une doxa propagandiste, il n'est au final rien de plus qu'un vulgaire assassin mû par rien d'autre que ses pulsions sexuelles. Dès lors confronter le spectateur et par là-même la société iranienne à cet aspect dérangeant mais indiscutable et lui faire revoir son jugement initial devient le rôle de la journaliste qui est une invention totale du film et n'a jamais existé en vrai.


Par son caractère fort et volontiers provocateur vis à vis de toute forme de hiérarchie elle vient à la fois questionner le point de vue du spectateur et à travers lui l'opinion iranienne quant à ce tueur et le traitement qui lui fut réservé alors mais aussi le tueur lui-même en lui mettant sous le nez en quoi son discours de défense ne tient pas et en quoi son jihad n'obéit en rien en un appel divin mais est uniquement la preuve de sa perversité profonde.


Absolument passionnant dans son propos et le traitement de celui-ci, le film jouit également d'une mise en scène admirable, servie notamment par un travail sur la photographie grandiose. Une photographie qui réussit à donner à la ville, notamment la nuit, une dimension à la fois ancrée dans une réalité triviale et froide soulignée par les néons et autres sources de lumière artificielles et en même temps un aspect quasiment mystique, presque fantastique ou hors du monde qui peut exister dans un tel lieu baigné de religiosité. Le scénario et le découpage sont également notables et les acteurs m'ont passionnés, devant une telle réussite et je l'imagine face aux difficultés qu'aura le film à atteindre sa cible iranienne, je ne peux qu'encourager à sa découverte et ne craignez pas l'étiquette film iranien, car tant dans ses éléments techniques que dans ses arcs narratifs le film est vraiment accessible au spectateur occidental.

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le 14 janv. 2023

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