Avec 'Les Nuits de Mashhad', Ali Abbasi confirme la bonne santé du cinéma iranien et s'ajoute à la longue liste des cinéastes iraniens dressant un constat accablant de la société iranienne. Le film est cru, direct et n’élude pas son sujet. Il va directement la où il veut aller et sans détours. C’est sa force.


Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.

Au Masque et la Plume, à deux reprises (au moment du Festival de Cannes où le film était présenté, et au moment de sa sortie en salle, les critiques assassinèrent le film lui reprochant son attrait et sa complaisance pour la violence dans la représentation des meurtres des prostituées. Une des critiques compara même le film avec celui de Dominik Moll ‘La nuit du 12’. Les films n’ont pourtant rien à voir. Si le meurtre d’une ou de plusieurs femmes est le point départ des deux films, il était le sujet même du film de Moll et de la réflexion que portait le réalisateur français. Chez Abbasi, ça n’est que le prétexte d’une histoire et d’un portrait à l’acide de l’Iran contemporain. Une sorte de MacGuffin à la Hitchcock. Le procès en complaisance ne tient donc pas.


Malgré le prix d’interprétation féminin qu’a glané l’actrice, le rôle de la journaliste n’est que secondaire. Le rôle principal échoit à l’assassin qui est en fait un fou de Dieu, un extrémiste de l’Islam. Sa pratique de la religion l’a rendu instable et trouve la motivation de ses crimes dans sa recherche du bien et de la satisfaction d’Allah. Les meurtres abjects et violents ne sont pour lui que le moyen d’accéder à la plénitude. La scène de procès où il défend ses actes est particulièrement glaçante. Sa femme n’est d’ailleurs pas en reste. Elle prie Allah pour qu’il sauve son mari tout en ayant connaissance de ses abominations. En Iran, la religion ne semble n’être qu’une illusion permettant de tout justifier si l’on pense faire le bien, la volonté du prophète.


A l’instar de ‘La loi de Téhéran’ de Saeed Roustaee ou d’Un héros’ d’Asghar Farhadi, l’Iran sort pour le moins égratigné de ce film. L’Islam y est pesamment présenteµ : dans la vie privée des individus, nous l’avons déjà vu mais également dans la vie publique, le juge étant un représentant religieux. Mais c’est surtout le sort de ses prostituées droguées qui errent dans des quartiers sinistres de Mashhad. Embarquées à moto ou en voiture par des hommes lubriques, elles subissent leur violence, leurs insultes et leur misogynie. Comme l’explique la femme de l’assassin à leur fils, elles sont vues comme des femmes corrompues. Pas un hasard que la police ne se démène pas vraiment pour enquêter. Le comble de l’hypocrisie est que ce « nettoyage » les arrange, comme le souligne la journaliste. Et ça ne s’arrange pas avec l’âge comme le montre le sorte de making-of auquel prend part le fils de l’assassin qui refait le parcours criminel de son père devant les caméras.


Les acteurs sont vraiment bons. Zahra Amir Ebrahimi hérite du rôle un peu ingrat de la journaliste car c’est son personnage qui fait avancer l’action. Mais il ne fait pas le poids face au personnage du serial killer, du à une légère sous-écriture. Il manque peut-être une couche d’écriture qui confèrerait un peu d’épaisseur au rôle. En revanche, Mehdi Bajestani livre une interprétation puissante. Par moment, on a presque parfois un peu d’empathie pour cet homme abominable, notamment quand on le voit démuni face à sa femme.


Ali Abbasi n’a pas froid aux yeux et va à l’essentiel. Il filme la violence des meurtres comme elle est, sans que les plans ne soient trop long. L’ambiance est nocturne, sombre, parfois jaunâtre. Abbassi réussit à transmettre efficacement l’ambiance effrayante de cette ville. Abassi n’est ni Saeed Roustaee ni Asghar Farhadi mais il réalise un bon film.


Noel_Astoc
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le 29 oct. 2022

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