Le plus grand succès commercial de Scorsese aura été celui qu’il aura le plus rechigné à mettre en chantier. Devant l’insistance de Spielberg et de Niro, il accepte après plusieurs refus de s’atteler au remake des Nerfs à Vif, film de 1962 qu’il apprécie mais qui l’agace aussi beaucoup par son traitement manichéen des personnages.


C’est là tout l’intérêt à voir les deux versions : celle proposée par Scorsese est clairement passée à la moulinette de son attrait pour le mal, et du cynisme des années 80 qui viennent de s’achever.
Les Nerfs à Vif est un film clinquant et poseur, et qui s’assume comme tel : du générique de Saul Bass à la musique, réorchestration de Bernard Herrmann par Elmer Berstein, tout s’impose et joue le jeu du thriller : la première apparition musculeuse et tatouée de Cady, son avancée vers la caméra à sa sortie de prison au point de la cogner, la brusquerie des mouvements… Scorsese prend à bras le corps la codification en vigueur et l’exacerbe, joue avec sa cinéphilie jusqu’au vertige : Mitchum et Peck jouent des seconds rôles pour les partis adverses de ceux qu’ils interprétaient à l’origine, et le cinéaste va jusqu’à jouer à De Palma dans la réécriture mi hommage, mi parodie de Psychose lors d’une scène de travestissement.


La malice de la réécriture sert le même propos : plutôt que de lancer à la poursuite d’une famille wasp idéale un démon absolu, Scorsese en fait, en bon catholique torturé, leur mauvaise conscience. Chaque personnage a de bonnes raisons d’être puni : un avocat fautif (cette fois, il a mal défendu Cady, alors qu’il était simplement témoin dans la version de 1962) et infidèle, une épouse névrosée, une jeune lolita en crise avec ses parents : Cady révèle et gratte les plaies avec un plaisir nihiliste. Une scène particulièrement réussie condense cette approche : le long plan séquence du face à face entre De Niro et Juliette Lewis, dénué de musique, entièrement fondé sur la séduction jusqu’à un viol métaphorique véritablement saisissant. Cette nouvelle lecture permet ainsi au cinéaste de conserver ce fameux statut du maverick qui lui est cher, à savoir du réalisateur capable de rester un auteur singulier au sein du système des studios.


Il serait pourtant limité de considérer, pour cette seule raison le film comme une réussite. Le clinquant a en effet ses limites, et n’est pas toujours du meilleur goût (photo rutilante, filtres rouges, images en négatif, caméra à l’envers…), la violence croissante dérive vers un grotesque qui a du mal à prendre corps : le personnage de Cady fait tellement dans la surenchère qu’on se désintéresse de ce qu’il pourrait représenter sur le plan symbolique. Le final, grand guignol interminable, parachève ce sentiment : certes, Scorese joue sur un terrain balisé, certes, il sert ce qu’on lui demande, mais, à considérer ce que parvenait à générer la version originale, bien que manichéenne, dans le calme et la lutte primale, on ne peut que regretter ces effets de manche poussifs et rédhibitoires.


Qu’importe : le triomphe du film donnera au réalisateur une grande marge de manœuvre financière pour ses films suivants, qui permettront l’opulence de ses films historiques (Le temps de l’innocence) et exotiques (Kundun). Les Nerfs à vif est autant une enclave cinéphilique un peu grossière qu’une réussite commerciale permettant au cinéaste de poursuivre sa quête d’une filmographie aussi éclectique que passionnante.


(5.5/10)


http://www.senscritique.com/liste/Integrale_Martin_Scorsese/1467032

Sergent_Pepper
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le 17 oct. 2016

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