Second film de Malick (après La Balade Sauvage), avant qu'il ne s'évapore pour vingt ans, revenant en 1998 pour La Ligne Rouge, Days of Heaven est une espèce de Petite maison dans la prairie éthérée et jouissant de très gros moyens. Son tournage a d'ailleurs connu quelques complications à cause de changements d'orientation tardifs de la part de Malick, mettant en péril ses fournisseurs et agaçant son casting. Toutes ces frustrations (en plus de n'avoir pas obtenu Travolta pour incarner l'homme – car il y a l'homme et la femme de la nature dans tout opus malickien) auraient en grande partie motivées sa longue parenthèse.


Que c'est beau, oh oui, c'est très joli, car National Geographic meet Andrew Wyeth c'est joli et en plus servi par une pyrotechnie délicate. Un charme bucolique relatif irradie, transformé par le panthéisme réactionnaire. Les Moissons du ciel ont ce côté feuilleton rural US boosté par une virtuosité langoureuse, un regard d'auteur intransigeant. Ce regard profond et impitoyablement démoralisant, au-delà du fatalisme, postulant sur la contemplation pure, rapportant tout à une transcendance pour dénier la moindre considération sur sa condition, son existence, son usage de la raison, ceux-là n'étant somme toute que des vanités dans l’œil de Malick.


Alors il y a le joyau de l'absolu : la femme malickienne. Son bonhomme aveuglé (Richard Gere) s'agace que sa femme soit ainsi l'objet de tous les regards : il est désarmé face à la femme malickienne, il ne sait pas bien cerner la valeur et la puissance de son intégrité. Passive esclave dans ce monde, la femme malickienne est au-dessus de tout. On peut bien sûr y voir une connasse léthargique. Son aliénation n'est pas forcément regrettable car elle a en effet des bénéfices pour tous et l'harmonie de cette communauté n'est pas sans charmes : tout le monde n'a pas la même place mais chacun en a une et est respecté.


Toutefois Abby n'a pas tant de mérite : elle n'a ni la force de ne pas être cet objet soumis, ni la profondeur suffisante pour creuser la relation avec son conjoint. Sa dévotion est celle d'un robot dépourvu d'intention, tenu bien au chaud, à la conscience totalement évanouie. Malick projette sur elle un idéal de pureté tout à fait démoralisant : elle ne sert ni elle-même, ni la Nature ni les h/Hommes, elle est là et elle dort, refusant tout investissement véritable mais méritant manifestement les honneurs. C'est normal, Malick n'aime que ça : ces misérables petites âmes de victimes intégralement vierges, ces tableaux blancs extatiques.


La voix-off accompagnant le récit est bien sûr celle d'un enfant dont le stoïcisme se partage entre honnêteté candide et attitude de martyr obtus et arrogant. Les créations de Malick relaient un idéal de bon petit méditant comme une mamie humble et peut-être un tantinet restrictive ; une mamie catho mais pas gâteau avec des moyens de géant. C'est aussi un des seuls cinéastes de son niveau à sortir aussi peu de films ; d'ailleurs, depuis qu'il a accéléré le mouvement après Le Nouveau monde, il s'est un peu crashé. Mamie prophète devrait plutôt garder son rythme et éviter les grands élans, ça donne des résultats photoshopés un peu dégueu diluant la sève fonctionnelle jusque-là (la beauté plastique, la solennité valide, le lyrisme sans aspérités).


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le 15 janv. 2015

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