
Rainer Werner Fassbinder adapte pour le grand écran sa propre pièce du même nom : chef d'oeuvre absolu !
Cinq actes et autant de tragédies articulées selon la règle des trois unités : Les Larmes amères de Petra Von Kant présente donc en temps réel cinq tranches de la vie de son héroïne... Fassbinder filme son unique décor sous pratiquement toutes les coutures possibles et imaginables, avec un sens du trompe-l'oeil proprement hallucinant doublé d'un aplatissement visuel redoutable : usant finalement peu de la profondeur de champ le cinéaste insuffle à ses images une dimension pour le moins morganatique, au gré de motifs s'enchâssant les uns dans les autres. Strictement rien n'est laissé au hasard dans ce huis-clos pathétique mâtiné de cruauté bergmanienne ( Cris et Chuchotements - autre très grand film de chambre sorti la même année - vient à l'esprit à de nombreuses reprises au regard de ce redoutable pugilat psychologique, essentiellement féminin...).
Chaque effet de lumière et chaque cadrage s'avèrent ici savamment composés par le fondateur de l'Antiteater : d'une extrême complexité la texture formelle des Larmes amères de Petra Von Kant magnifie ses actrices, au point d'en transformer les personnages en de véritables archétypes, jalonnée en permanence de symboles : miroirs, toile de maître rémanente car fondue dans le décor, positionnement des objets, effets d'écho, lignes de force séparatrices... Ici la mise en scène nourrit le texte originel au point de l'enrichir de manière saisissante.
Margit Carstensen, Hanna Schygulla et Irm Herrman y forment un trio de femmes à la fois complémentaires et harmonieuses dans leur habillage : d'un côté une styliste cultivée, raffinée mais intransigeante, désespérément amoureuse de son modèle et noyant in fine son chagrin à la santé de sa camériste ; de l'autre une jeune femme armée de beauté mais dépourvue de nuances bourgeoises, narguant impitoyablement sa créatrice à renfort de mensonges entendues ; enfin entre l'artiste et la muse une dame de compagnie mutique et appliquée qui - si l'on excepte un téléphone sonnant avec insistance - reste le seul point d'ancrage avec le monde extérieur et les autres personnages du film...
Un véritable chef d'oeuvre, aussi dense et tortueux qu'une pièce de Tennessee Williams ; pour son chef opérateur Michael Ballhaus et ses actrices le tournage a dû constituer un véritable rêve professionnel et artistique, tant Les Larmes amères de Petra Von Kant transpire la maîtrise, la précision et la beauté dès les premières images. Un film exceptionnel.