Un bébé décédé, ce n'est pas rigolo.

Le film raconte l'histoire vraie d'une classe de seconde dans un lycée de Créteil qui, poussée par leur professeur principal, va participer au Concours national de la résistance et de la déportation avec comme sujet d'exposé les enfants et adolescents sous l'occupation nazie. Une cohésion nouvelle qui poussera les élèves à réfléchir sur leur propre vie et leur façon de concevoir la solidarité. Ensemble, ils vivront ce devoir de mémoire comme une révélation...


Les Héritiers de Marie-Castille Mention-Schaar est une semi-réussite en grande partie grâce à la notion de l'espoir qu'il véhicule à travers les adolescents de cette classe réputée très difficile. Ahmed Dramé, qui incarne un des héros du film, est à l'origine du scénario et pour cause : c'est de sa propre histoire que ce film s'inspire. D'abord tous réticents à l'idée de se lancer sur une dose de travail supplémentaire et, surtout, sur un sujet si loin de leur quotidien, ils réalisent peu à peu, par un effet de masse et par des arguments qui vont les piquer au vif, qu'il s'agit d'une vraie chance pour eux de se démarquer. Un point commun avec les horreurs de la seconde guerre mondiale va les raprocher : trouver la force de s'en sortir.



Un récit vital mal engagé



L'histoire s'appuie sur des personnages qui, si ils ont le mérite de représenter toutes les couches sociales, sont de véritables clichés sur pattes. Et parce qu'il faut toucher un large public pour sensibiliser le plus de monde, ils réussissent quasiment tous à se passionner pour leur exposé dans une ambiance très bon enfant. Je ne doute pas de la véracité de l'histoire initiale mais j'ai du mal à croire que tout était aussi lissé et bien-pensant. Certains débats sont mal amenés, il y a un certain manque de rigueur dans l'écriture - peut-être une trop grosse part d'improvisation qui empêche le naturel de la situation de fonctionner convenablement. Ainsi voit-on de trop près tout le mécanisme scénaristique qui permet aux jeunes de basculer de la pire des classes du lycée à la plus brillante en terme de valeurs, d'idées et de persévérance. C'est trop gros, trop impromptu. Si les dialogues entre les élèves sont bons et assez réalistes, le film souffre de beaucoup de maladresses pourtant pas incurables. Trop de sujets abordés en même temps, trop de confusions.



Il y avait des enfants madame ? - Oui, même des bébés. - Des bébés... mais ce n'est pas rigolo ça madame... (dit-il après avoir éculé toutes les blagues possibles sur la shoah)



C'est, de toute évidence très difficile de condenser un tel basculement en à peine une heure trente de film. Cette citation approximative est censée être la prise de conscience du personnage - c'est lourd, c'est presque ridicule, ceci dit l'idée de "réaliser" les enjeux est indispensable. L'objet cinématographique en tant que tel montre ses limites, comme dans American History X, ou le néo-nazi devient en quelques dizaines de minutes un homme sain et réfractaire à cette idéologie. J'ai toujours beaucoup de mal à concevoir de tels retournements de situation tant la démarche morale est importante et tant le laps de temps dans les films est difficile à accepter, même lorsqu'il s'agit d'ellipses.



De la surenchère à l'émotion



Heureusement, la seconde partie du film, plus idéaliste et adoucie dans sa réalisation, permet d'observer les différents points de vue de chacun et offre aux différents protagonistes la possibilité de jouer leur rôle avec plus d'intérêt. Certains verront dans la seconde moitié du film une suite de scènes démagogues avec des voix off surexploitées et une surenchère de l'émotion, ils auront sans doute raison mais c'est là que je vibre le plus : lorsque je vois ces jeunes partis de rien et qui ont l'impression d'exister. C'est la beauté du message, c'est la note d'intention du scénario. Ils prennent conscience d'être les héritiers d'un nouveau monde et, putain madame, ça a trop de la gueule frère.


Ariane Ascaride est fantastique et si l'oeuvre ne tombe pas complètement dans la stigmatisation, c'est aussi grâce à elle. Il y a bien des professeurs qui se morfondent dans la dépression, des professeurs perdus, des professeurs qui n'y croient plus, mais elle, elle est leur soleil à sa manière, qui éblouit ses élèves avec une justesse de ton toujours adéquate. Elle rend son personnage atypique et attachant alors qu'il y aurait eu mille moyens de tomber dans le misérabilisme ou l'hystérie - elle est pour toi celle-ci Adjani. Elle saisit toutes les nuances de son rôle, sans être une seconde maman, juste une femme de poigne aux intentions louables. Le reste du casting est très bon, malgré quelques fausses notes, ils sont tous à niveau égal et ne font jamais sortir le spectateur du film. On a tendance à trop sous-estimer ces jeunes qui ne font pas que singer les différentes saveurs de la banlieue. Ils la font revivre devant la caméra et pour que cela paraisse authentique, il faut une grande direction d'acteurs.


Sceptique au lancement de ce film, toujours sceptique à l'arrivée, je concède néanmoins être assez ému par ce que j'ai vu et je conseille de le regarder avec son coeur plus qu'avec sa tête. Trop convenu pour être une leçon d'humilité et de tolérance, c'est au moins un appel du pied significatif.

EvyNadler

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