Les années 80 sont les années du Slasher. En 1978 John Carpenter reprend la formule de "Black Christmas", l'enrichie de son immense talent et la fait exploser à la face du monde. Le mutique et colossal Michael Myers devient l'archetype du Boogey Man et "Halloween" plante durablement les codes du genre dans l'inconscient collectif. De son côté Wes Craven s'est fait une petite réputation auprès des amateurs de films undergrounds avec "La colline à des yeux" mais peine encore à trouver le grand public. C'est alors qu'il décide d'embrasser la mode des slashers pour y apporter quelque chose qui va faire toute la différence et qui lui ouvrira définitivement la voie du succès.

La grande idée, à la fois simple et géniale, du film est de proposer un tueur qui vous tue dans vos rêves. La nuit, l'obscurité a toujours fait peur car, par définition, on y perçoit difficilement les choses et donc les dangers mais en rajoutant par dessus la couche du rêve le film plonge dans une peur encore plus profonde. Tout simplement parce qu'on n'est jamais autant vulnérable et impuissant que lorsqu'on rêve, cela renvoie à une angoisse infantile partagée par tous les enfants de la Terre, le cauchemar tellement horrible qu'on en meurt. Les échappatoires sont minces puisque les rêves ne se contrôlent pas et tout peut y arriver. Enfin dernière subtilité, et non des moindres, qui fait tout le génie de cette idée : on ne peut pas s'empêcher de dormir. Pour échapper à Jason Voorhees il suffit de ne pas traîner à Crystal Lake, pour ne pas avoir affaire avec Michael Myers il faut tout simplement éviter de faire le con près de chez lui un 31 Octobre. Même si on reste coincé dans la bourgade de Springwood la seule façon d'échapper à la mort c'est de ne pas dormir, hors c'est impossible. Tôt ou tard tu vas rencontrer Freddy Krueger, le croque-mitaine des Griffes de la nuit.

Freddy Krueger est l'autre grande réussite du film de Wes Craven. Tout d'abord son look avec son pull rayé vert et roue, son chapeau miteux et son visage brûlé. Une dégaine improbable et étrange qui marque instantanément. Et puis il y a le gant, arme unique et immédiatement effrayante. Un gant de cuir renforcé de metal orné de lames de ciseaux sur chaque doigt. Une arme qui symbolise à elle seule le personnage. Derrière le maquillage Robert Englund trouve le rôle de sa vie et offre une gestuelle et un phrasé unique dans le genre et permet au personnage d'exister instantanément. Car Fred Krueger c'est un bavard, loin de ses cousins mutiques il aime les menaces et les mots d'esprits. Il aime jouer aussi, le meurtre n'est rien sans l'intimidation et la peur de ses victimes, c'est là qu'il puise sa force.

Comme tout slasher qui se respecte le film a un rapport étroit à la sexualité, finalement ça sera la pureté de Nancy qui finira par la sauver là où les autres victimes ont pêché ou ont été tenté de le faire, mais cette fois-ci Krueger l'assume complètement et mêle cet élément à son processus de meurtre. Tout dans Freddy Krueger, du gant à son attitude, évoque la perversité. Il suffit de voir la séquence où Nancy s'endort dans son bain, avec le gant qui se dresse entre ses jambes écartées pour le comprendre. L'une des motivations de Krueger est la vengeance, tueur d'enfant de son vivant il est tué par les parents d'Elm Street puis revient dans les rêves des enfants de ses bourreaux pour les punir. Cette idée, qu'une génération entière paye pour les crimes de leurs parents, s'inscrit là encore dans un schéma de peur infantile, voire primaire. L'affranchissement vis à vis de l'adulte et de son autorité, d'ailleurs si le père de Nancy est policier ce n'est pas un hasard.

Les rêves sont, certainement par faute de moyens à la base, très ancrés dans le réel. C'est à chaque fois par petites touches qu'ils glissent dans l'horreur. Le contexte familier des rêves permet un basculement progressif des personnage et permet aussi d'entretenir le doute sur le fait que le personnage soit éveillé ou non. Comme lorsque Nancy répond à son téléphone qui essayera de lui rouler une pelle, impossible d'affirmer si elle encore reveillé ou non, surtout quand un dialogue juste avant nous informe qu'elle est en privation de sommeil depuis une semaine. Tout le final jouera justement là dessus, parfois de façon un peu bancale certes mais plutôt efficace dans l'ensemble. Nancy veut ramener Freddy dans le monde réel pour le tuer mais lorsqu'elle le fait le réel justement est bourré de détails qui renvoie au rêve sans pourtant confirmer ce staut. Par un raccord particulièrement habile le film entretient une continuité directe entre un épilogue positivement onirique (le brouillard, les dialogues étranges, la voiture, la réaction des personnages) et les dix minutes précédentes censées se dérouler dans le réel selon le plan de Nancy. Le film entretient le mystère sans que cela soit frustrant et évite de fournir une explication claire qui mettrait tout par terre.

Mais n'oublions pas que l'on reste dans un slasher, un genre d'exploitation à sensation forte et là aussi le film sait y faire. Le meurtre de Tina est particulièrement marquant car là aussi bien ancré dans le réel (toute la mise à mort est vue du point de vue du réel et non du rêve) mais définitivement étrange avec cette pauvre femme trainées sur les murs et le plafond. Une sorte de cauchemar éveillé là aussi. La mort de Glen aussi marquera les mémoires, avalé par son lit puis recraché sous forme d'une fontaine de sang. Ces deux séquences participent à la réussite du film, malgré l'aspect grotesque de Freddy quand il poursuit ses victimes lorsqu'il frappe : ce n'est plus un jeu et c'est d'une violence totale.

Bien sûr le film a vieilli sur certains aspect et souffre de son manque de budget. On pense notamment aux personnages plutôt bien écrit pour le genre et bien castés (Il est amusant de voir Johnny Depp tout jeune dans son premier rôle) mais il n'en demeure pas moins que les performance sont assez mauvaises, hormis Englund simplement génial en Freddy. Mais il est difficile de dire si cela vient d'eux ou du fait qu'un bon nombre de plans sentent bon le "une seule prise, on passe à la suite sinon on est mort". Il y a aussi ce passage un peu curieux où Nancy piège sa maison en une poignée de minutes, même si l'hypothèse du sommeil est envisageable ça reste un peu trop décalé par rapport au reste du film. L'aspect kitsch de certains passages ne manquera pas de décevoir, tout comme un maquillage de Freddy parfois bien sommaire malgré un jeu de lumière qui s'efforce de cacher la misère. Découvrir le film aujourd'hui pour un adulte est l'assurance de quelques moments déconcertant mais Wes Craven gère suffisamment bien ses effets pour comprendre facilement l'impact du film à l'époque ou sur un public plus jeune.

Les griffes de la nuit est sans doute l'un des meilleurs slasher tourné. Il réussi à s'inscrire facilement dans les codes du genre et à les renouveler grâce à l'idée des rêves riche de possibilités et interprétations et surtout grâce à un monstre unique et immédiatement mémorable. Le succès du film permis à New Line d'être enfin prise au sérieux dans le milieu des producteurs de Cinéma, à Wes Craven de rencontrer son public et aux fans d'horreur d'avoir une nouvelle icône à suivre. Freddy Krueger s'impose immédiatement comme un croque-mitaine d'envergure. Un succès qui ne pouvait pas reste sans suite et moins d'un an plus tard Freddy était de retour sur les écrans du monde entier et finira par hanter les années 80 en entier.
Vnr-Herzog
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le 30 mars 2013

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le 30 mars 2013

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