En littérature, on dit d’un début qu’il est in medias res lorsqu’il commence sur une action abrupte, sans introduction ou mise en contexte : on donne au lecteur le sentiment que le récit a commencé avant qu’il n’arrive, et l’immersion n’en est que plus efficace. C’est par cette méthode que s’ouvre Les Griffes de la nuit : dans des souterrains angoissants, où un individu doté des pires intentions poursuit une jeune adolescente effrayée.


Toute la codification du film d’horreur des années 80 est ici synthétisée, dans une course-poursuite qui reprend le folklore du giallo en l’adaptant à une tonalité plus pop et yankee. Le réveil final, supposé apporter du soulagement quant à la menace, instaure au contraire toute la malice perverse du scénario : ici, le cauchemar est partagé, et peut avoir des conséquences sur le réel.


Cette idée pertinente dote le récit d’une liberté folle : tout étant possible au sein des nuits de la jeunesse, le catalogue des angoisses va pouvoir se déployer, du cahier des charges le plus attendu (mutilations, bestiaire effrayant, déformations) aux innovations les plus esthétiques. Car si les acteurs sont relativement mauvais et les enjeux cousus de fil blanc (copine accro au sexe châtiée dès le départ, mère alcoolo punie, père démissionnaire et flic impuissant dans un premier temps, etc.), toute la dimension visuelle est riche d’un travail remarquable. Les effets spéciaux rivalisent d’ingéniosité pour matérialiser les peurs les plus ancestrales, que ce soit dans des marches qui fondent sous les pas, un lit qui avale sa victime avant de la pulvériser en geyser d’hémoglobine au plafond, ou d’un téléphone d’où surgit une langue baveuse. C’est là probablement que réside le véritable intérêt d’un film qui, n’en déplaise à la légende, effraie moins qu’il n’amuse, dans une logique assez cartoon qui fait du méchant une espèce d’attardé ricanant pour assouvir une fonction unique : faire le mal. Freddy, c’est l’image marquante, qui, après le Nosferatu de Murnau déchirant la toile, prend le relai pour déformer les cloisons ou faire surgir sa main gantée de rasoirs entre les jambes d’une donzelle dans son bain. Celle-ci illustre à la perfection la descente imposée aux personnages dans les tréfonds de leur inconscient : un mélange de désirs, de refoulé et de peurs enfantines, où l’on privilégie les labyrinthes de sous-sols industriels, l’enfermement dans sa propre maison et la proximité d’êtres chers qui n’interviennent tout simplement pas.


Si la revanche attendue a bien lieu, permettant une émancipation de la jeune enfant devenue guerrière, le récit ne permettra pas de se débarrasser pleinement de ce qui fait sa saveur toxique : l’épilogue nimbé d’une brume suspecte tient ainsi toutes ses promesses à un spectateur devenu accro à ce sadisme bigarré : les personnages n’auront de véritable présence que dans les limbes d’un cauchemar sans fin.

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le 7 mai 2021

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Sergent_Pepper

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