Denys de La Patellière a adapté en 1958 la fresque familiale "Les Grandes Familles" de Maurice Druon parue en 1948. Même si l'action du roman qui se situe dans l'entre-deux-guerres a été transposée dans la années 50 (au moment de la sortie du film), les grands traits de cette famille ont été scrupuleusement respectés dans le film.


Le scénario et les dialogues de Michel Audiard assurent des réflexions à l'emporte-pièce toujours savoureuses. Je me régale toujours de l'introduction et de la présentation de tous les personnages du film avec une voix off sur le ton de la confidence respectueuse avec une pointe (très légère mais franche) d'impertinence voire de fiel.


Et puis la mise en scène de cette famille profondément catholique où je vois (enfin) ce que signifie la vraie foi. Par exemple, au moment de la quête quand les membres de cette grande famille larguent des gros biffetons (naturellement et sans ostentation). Ça me rappelle toujours ce vieux cureton de campagne, quand j'étais jeune, qui ne supportait pas les quêtes bruyantes du fait du cliquetis des pièces de monnaie et qui proposait de faire ce qu'il fallait pour éviter le bruit…
Lorsque la cousine pauvre se trouve enceinte inopinément, un conseil de famille est réuni pour trouver une solution honorable. La mater familias (plus catho, tu meurs) propose l'interruption de la grossesse parce que dans l'affaire il y a eu tellement de péchés que Dieu ne verra pas d'inconvénients à ce qu'il y en ait un de plus. Un délice. Oui, vraiment, j'adore car moi, je suis bien incapable d'une telle foi ...


Ensuite dans ce film , il y a le jeu dur, très dur du monde des affaires où tous les coups sont permis. Et le film est sans concession, féroce. Le pouvoir et le gain. Mais d'abord le pouvoir car le gain vient automatiquement lorsqu'on a le pouvoir. C'est fascinant comment Denys de La Patellière, à travers les différentes situations proposées dans le film, montre à quel point celui qui détient le pouvoir peut faire plier les hommes et les transformer en marionnettes. On y voit entre autres comment ce pouvoir s'exerce et se maintient dans le temps grâce à ce que j'appellerais des hommes-lige (dévoués corps et âme à Dieu, c'est-à-dire au patron). Que ce soit en Bourse, au Journal ou dans l'usine Sucrière. Et le fils du patron échouera car il n'a pas eu l'intelligence ou la conscience qu'il fallait d'abord s'attacher à ces hommes, les arracher à leur tutelle.


Et puis il y a le jeu des acteurs.
Jean Gabin dans le rôle du patron, Noel Schoudler, maître après Dieu (à moins qu'il ne soit carrément Dieu). Malin, retors, intransigeant et dur. Un rôle où Gabin excelle comme dans "le président" où il tient son ancien dircab par les couilles ou "la horse" où le gros proprio ne laisse aucun choix, aucun droit à sa famille. Fascinant jeu d'acteur.
Jean Desailly dans un de ses plus grands rôles. C'est le fils Schoudler. En principe, celui qui est appelé à prendre la suite. Mais Schoudler/Gabin a percé depuis longtemps la cuirasse du fils et sait qu'il s'agit d'un faible. D'ailleurs il le dit entre les dents qu'il a tout payé y compris son entrée à Polytechnique ! Le personnage du fils n'a pas mesuré l'appétence du père pour le pouvoir. C'est un idéaliste voire même un gentil donc il n'est pas de taille.
Pierre Brasseur dans le rôle du cousin maudit, Maublanc. C'est l'épine dans le pied de la famille Schoudler car il possède d'une façon ou l'autre une grande partie des actifs de la famille. C'est un jouisseur et un oisif. Pas vraiment le style de la famille Schoudler ultra catho et austère. J'adore son arrivée (en retard, of course) aux funérailles du grand poète. Dans le silence et le recueillement, on ne voit que la greluche qui l'accompagne et on entend que ses godasses qui chuintent. Superbe.
A noter que dans le roman, le personnage de Maublanc est beaucoup plus développé.
Le reste du casting est soigneusement choisi et les choix sont excellents.
Bernard Blier (Simon Lachaume) est le bras droit de Schoudler. Il dispose d'un pouvoir occulte de nuisance assez considérable. Le film montre cependant que la relation au patron est du genre fragile, sa position tient du siège éjectable. Le personnage joué par Blier a l'intelligence du saut d'obstacle... Excellent.
Jacques Monod en ministre des finances, Louis Seigner en banquier dont on savoure sa faculté à avaler les couleuvres, ...


Je me suis toujours délecté à regarder ce film ou à lire le bouquin. L'un comme l'autre, je les ai vu ou lu plusieurs fois et je dois dire que je ne me lasse pas. J'attends tranquillement les réparties percutantes des acteurs que ce soit Gabin ou Brasseur. C'est certainement, pour moi, une des plus grandes réussites de Denys de La Patellière au cinéma.

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le 22 mars 2022

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