Jacques Audiard aime mettre en scène des binômes. Après le vieux taulard et le jeune lascar dans Un prophète, la dresseuse d'orques et le boxeur clandestin dans De rouille et d'os ou encore la secrétaire malentendante et le repris de justice dans Sur mes lèvres ; Audiard filme deux tueurs à gages, Eli et Charlie Sisters dans son dernier long-métrage, Les Frères Sisters.


Eli et Charlie Sisters sont engagés par le puissant Commodore pour retrouver un chimiste du nom d'Hermann Kermit Warm afin de lui extorquer une mirifique formule permettant de révéler l'or dans les rivières. L'idée est bien sûr de faire disparaître le dit chimiste une fois la formule récupérée. Les deux tueurs sont en liaison avec le détective John Morris qui est chargé de gagner la confiance du chimiste et de préparer son enlèvement par les Sisters. Le plan du Commodore va néanmoins subir une série d'accrocs dont le premier est l'amitié sincère qui se créer entre John et Hermann.


Gravitant autour des frères, un second binôme se forme donc entre deux hommes que tout semblait séparer sur la forme, mais qui partagent en réalité la même utopie, celle d'une société où les hommes vivraient en harmonie. Pour eux, l'or récolté grâce à la formule ne doit pas permettre un enrichissement personnel, mais la création d'un phalanstère, énorme bâtiment pouvant accueillir de nombreuses familles et où régnerait cette harmonie. Une harmonie qui paraît aberrante dans cet univers violent et impitoyable qu'est le grand Ouest Américain du milieu du XIXe siècle.


Les Sisters sont, quant à eux, indissociables sur la forme mais très différents sur le fond. Le spectateur s'aperçoit, au fur et à mesure de la traque, que l'ainé, Eli, est doux et tempéré tandis que Charlie est colérique et impulsif. Souvent cantonné dans un rôle de gentil bouffon, John C. Reilly qui incarne Eli est très touchant, dévoilant peu à peu le profond sentiment de bienveillance envers son cadet et la culpabilité de ne pas avoir pu le protéger d'un père alcoolique et violent. Haïssant mais calquant pourtant son comportement sur celui de cette figure paternelle exécrable, Charlie est un personnage empreint de rage et d'amertume, interprété par un formidable Joaquin Phoenix.


A noter que l'on retrouve un directeur de la photographie au profil atypique pour un Western. Le belge Benoît Debie était jusqu'à présent habitué à mettre en lumière un autre genre de six-coups et a du se sentir quelque peu perdu dans ce film où l'absence de la moindre figure féminine est criante.


Pour son premier Western et son premier film en anglais, Audiard s'est attelé à la tâche avec sérieux, ne faisant aucune fausse note, mais sans véritable originalité. Une copie peut-être un peu trop scolaire, mais dont la qualité permettra au réalisateur français de rafler un Lion d'argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise et un César de meilleur réalisateur.

Vincent-Ruozzi
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le 18 déc. 2019

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