[Article contenant des spoils]


Fort impressionné par le dérangeant Despuès de Lucìa, j'étais impatient de découvrir un autre opus de Michel Franco.


L'affiche en dit long sur le film : une mère au centre, et trois filles, dont une à naître. Les mains de la mère sont posées sur Karen, la fille de Valeria. Clara, l'autre fille d'Avril, est sur le côté, seul la moitié de son profil est montré. Tout est dit : Valeria sera la dépossédée, Clara la méprisée. Il y aura aussi un homme, Matteo, le jeune père, au prénom de bellâtre italien : belle gueule indéniablement (quoique très cliché), mais pas plus de caractère que cervelle.


Très jolie première scène : une femme fait la cuisine alors qu'à côté résonnent des bruits d'ébats. La femme ne s'en émeut nullement, ce qui d'emblée installe une étrangeté. J'ai pensé que c'était sa mère, mais non, c'est sa soeur - plus exactement sa demie soeur, le père n'étant pas le même. La mère ? On n'aura d'abord que son ombre, inquiétante puisque Valeria ne veut pas l'informer de sa grossesse.


Elle va pourtant apparaître sous un jour riant, acceptant très bien la nouvelle, une mère très large d'esprit semble-t-il, jeune de caractère et de corps, adepte du yoga. Jeunisme, voilà sans doute le maître mot pour comprendre Avril : on apprendra en effet qu'elle a été quittée pour une femme plus jeune, par un homme qui était pourtant déjà bien plus âgé qu'elle ! La naissance de Karen va opérer comme un coup de jeune pour Avril, qui ira très loin dans cette voie. Jusqu'à prendre conscience de l'absurdité de la situation, dans une scène très réussie au restau face au bébé qui braille.


Avant cela, elle aura piqué à Valeria son petit copain ! C'est là que le film m'a semble un peu faible, sans doute par manque de réalisme, à cause aussi d'un côté un peu trop énorme de cette femme qui se révèle une vraie mante religieuse. Par exemple, la vente de la maison, sans se soucier de ce qu'il advient de ses filles, c'est peut-être un brin too much. Il me semble que Despuès de Lucìa faisait preuve de davantage de subtilité.


Les autres adultes ne sont pas à la fête non plus : les parents de Matteo n'ont qu'une hâte, qu'on les débarrasse de ce bébé, ils signent les yeux fermés une adoption ; le père de Valeria, en froid avec sa fille, n'entend pas bouger le petit doigt pour l'aider.


Voyons maintenant ce qu'il en est des trois filles.


Valeria est un personnage intéressant car ambigu : admirable par sa volonté, lorsqu'elle fait ce qu'il faut pour récupérer son enfant. Détestable lorsqu'elle traite sa soeur comme une moins que rien, ne daignant même pas lui répondre, faisant bruyamment l'amour sans se soucier de ce que peut ressentir sa soeur visiblement très seule.


Clara est le personnage touchant de cette histoire, car personne ne la considère : on vient de parler de Valeria, mais Avril ne vaut pas mieux, imposant à Clara un régime de fer, plutôt que de l'aider à être mieux dans sa peau.


Enfin, il y a Karen, le bébé. Qui, contrairement aux apparences, n'existe pas en tant qu'être humain : elle n'est qu'un jouet aux mains d'Avril, de Matteo, de Valeria. Personne ne se soucie réellement de son bien-être, chacun cherche seulement à la "récupérer". C'est pourquoi la scène où Avril l'abandonne sans un mot est à ce point signifiante. De même, le plan fixe final, dans le taxi. Un point fort décidément chez Michel Franco, ces fins, car la scène du père dans le bateau dans Despuès de Lucìa m'a laissé un souvenir durable.


Tout cela sur fond de paysages riants, maison au bord de la plage, farniente des jeunes, douceur du climat. Pour contraster, bien sûr, avec la noirceur du propos.


Un peu moins brillant que Despuès de Lucìa ai-je trouvé - je vais déplorer aussi, une nouvelle fois, le trop grand nombre de scènes dans l'habitacle d'une voiture, lieu anti-cinégénique au possible. Mais toujours assez captivant à suivre. On a comparé Franco à Haneke, ce n'est pas idiot, il y a une cruauté dans son cinéma qui les réunit en effet.

Jduvi
7
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le 8 avr. 2020

Critique lue 110 fois

Jduvi

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