Sans nul doute que Michel Franco, tout autant que Michael Haneke, doivent en avoir ras la casquette qu’on compare sans arrêt le premier au dernier. Cette comparaison semble cependant inévitable, tant la filmographie de Franco le place dans le sillage immédiat de l’autrichien. Certaines scènes vraiment dérangeantes de son cinéma pourraient même le rapprocher d’Ulrich Seidl, cet autre König autrichien de la provocation.


Les Filles d’Avril ne déroge pas à la règle du film clinique et froid, minimaliste et enrobé d’une bonne couche de cruauté qui est la marque de fabrique de Haneke, mais donc également de Michel Franco depuis le début (Ana y Daniel, Despuès de Lucia, Chronic). Totalement identifiable, mais avec cette fois-ci un je ne sais quoi de différent qui rend le film moins difficile à regarder que les précédents. La maîtrise de sa discipline peut-être, qui est de plus en plus robuste, ce qui fait que son dernier film est également le meilleur à ce jour.


Habitué aux entames percutantes, Michel Franco commence son film par les bruits explicites d’une relation très sexuelle en cours, provenant d’une chambre fermée. Une bande-son qui accompagne une jeune femme impassible, voire éteinte, au centre de l’écran, en train de préparer le repas dans la pièce adjacente comme si de rien n’était : il s’agit de Clara (Joanna Larequi) , et la « crieuse » est Valeria (Ana Valeria Becerril, une révélation) sa jeune sœur de 17 ans, une madone qui finit par émerger de la chambre, nue comme un ver et le ventre bien arrondi, suivie de près par son tout aussi jeune amant Mateo (Enrique Arrizon, beau et quelconque à la fois) . Le sens du cadre du cinéaste se fait sentir dès ces premières scènes, très belles, d’autant plus que le choix de cette magnifique maison de bord de plage à Puerto Vallarta lui donne de la très belle matière.


Le film s’appelle les Filles d’Avril, mais le vrai sujet c’est Avril elle-même (splendide Emma Suarez), une femme fantasque que les deux sœurs n’ont pas jugé bon de mettre au courant de la grossesse de sa petite Valeria encore mineure, une grossesse pourtant déjà bien avancée. Seules, les finances qui deviennent rares ont obligé Clara de prendre contact avec elle, et sans que l’on ne sache vraiment pourquoi ni comment, la mise en scène étant sèche et expéditive, on comprend d’emblée que cette mère a une relation tourmentée avec ses filles.


Le retour d’Avril parmi les siennes est filmé par petites touches qu’on pourrait qualifier d’insidieuses. Avril, belle, lumineuse, zen presque avec sa nouvelle lubie du yoga, n’est que douceur et amour maternel dans ses actes quand en réalité elle étouffe ses filles tel un boa constrictor. Clara d’abord en fait les frais la première, que les remarques puis les actions énergiques de sa mère par rapport à son léger surpoids prive de toute capacité, ni même d’envie de résistance. Puis, quand le bébé de Valeria naît, la transformation d’Avril est à l’œuvre, et la fait passer presque dans les mêmes plans, dans les mêmes scènes, d’une mère attentionnée à un être inquiétant, un ogre qui va essayer de tout dévorer sur son passage.


En apparence, ce nouveau film de Michel Franco est moins dur, moins violent et moins malsain que les précédents films dont les sujets mêmes étaient déjà très dérangeants (kidnapping, inceste, meurtres). Ici, la douceur de la maternité, celle de Valeria, et celle supposée d’Avril vient tempérer le propos habituellement étouffant de Franco. On pourrait même parler de tendresse dans certaines scènes. Et c’est là que le cinéaste attrape le spectateur dans ses filets : sous la beauté et la sensualité hypnotisantes d’Emma Suarez qui masquent tout, une merveilleuse actrice espagnole dans un rôle bien différent de celui de Julieta qu’elle tenait dans le très beau film d’Almodovar, c’est bien la tempête qui se prépare, la folie délirante qui s’échappe en crescendo et qui tout d’un coup le submerge, lui, le spectateur qui n’a presque rien vu venir.


Comme à son habitude loin de tout jugement, Michel Franco donne en pâture sans donner de direction les travers des uns et des autres, dans un mode de narration austère ; travers mis à nu par l’absence de la musique, disséqués dans ces longs plans fixes qui sont sa signature : manipulation, trahison, veulerie, mensonges, et pire encore. Mais que le film s’appelle Les filles d’Avril serait peut-être pour les optimistes indécrottables, le signe d’une empathie du cinéaste envers ces dernières plutôt qu’envers leur mère, des filles globalement victimes d’une mère désastreuse.


Interprété magnifiquement par Emma Suarez et la jeune Ana Valeria Becerril, mais également par Joanna Larequi qui montre avec un jeu très minimaliste toute l’étendue de la souffrance de Clara, son personnage, Les Filles d’Avril est un très beau film qui réconciliera certainement le cinéaste avec les cinéphiles qui aiment sa mise en scène sans forcément avoir envie d’acheter la violence de ses sujets.


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Bea_Dls
8
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le 4 août 2017

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Bea Dls

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