Les Etats-Unis se donnent bonne conscience

Le film nous raconte le destin de trois femmes noires qui ont participé activement au programme de la NASA pour envoyer un homme dans l'espace. C'est un film, ma foi, tout à fait mignon dans son rôle de feel-good movie nous montrant à quel point les choses vont bien même quand elles vont mal. C'est drôle. Les personnages sont attachants. On est parfois ému. La musique est bonne (en tout cas les titres réutilisés, pas la B.O. tout à fait oubliable que nous compose l'irrégulier Hans Zimmer). Enfin la réalisation fait le job, bien qu'elle ne sache pas s'élever et nous donner un peu d'art comme ça en passant. Bref, ce film est sympatoche et débordant de bons sentiments et c'est bien là le problème.
En effet, sous couvert de son discours féministe et anti-raciste, ce film tient un discours plus que discutable. Pour commencer, il ne faut pas se faire d'illusion : ce n'est pas parce qu'un film nous parle de femmes noires qui réussissent dans la vie qu'il est particulièrement défenseur de la cause des femmes et des Afro-américains. On a ici affaire à des afro-américaines sur-douées qui, ô surprise, réussissent dans la vie. Quid alors de toutes celles qui n'ont pas leur talent et qui ne s'en tirent pas mieux de nos jours que dans les années 60 ? Où est l'engagement ici ? Et quand on parle d'engagement, soulignons tout de même que ces femmes réussissent dans la vie parce qu'elles font le moins de vagues possibles et grâce à la bonne volonté des bons blancs, ce qui atteint des sommets quand Kevin Costner se pose en héros en abolissant la différence colored/white dans les toilettes, scène que le scénariste (et réalisateur) a ajouté en sacrifiant l'histoire, puisque, historiquement, Katherine Johnson est allée spontanément dans les toilettes "white only" pour ne pas faire le long trajet et que cette différence n'a pas été abolie pour elle. Theodore Melfi prive donc son personnage d'une action qui aurait été un minimum en marge des règles et laisse son héroïne dans une situation qui flirte avec la soumission. Je pense aussi à ce propos au passage au tribunal où Mary fait appel aux bons sentiments du juge plutôt que de s'appuyer sur la loi qui lui donne pourtant raison. Ce film me pose donc problème avec son discours du type "Sauvons ceux qui ont mérité de l'être" et je dirai, pour conclure, que s'il faut voir une sortie de cette semaine, allez voir Kong, au moins il ne ment pas sur la marchandise, et même, son sous-texte est à la fois plus intéressant et plus intelligent.