Les Femmes du 6e étage par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Critique éditée le 23 octobre 2022

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Ah! le 16ème arrondissement de Paris. Les beaux immeubles cossus le long des belles artères, les magasins chics, les habitants calmes et parfois stylés font parfois rêver les gens tandis que d'autres qui n'ont pas la chance d'habiter dans un cadre aussi idyllique sont plus sarcastiques. Au début des années soixante, parmi ces familles "privilégiées" Jean-Louis Joubert, agent de change, son épouse Suzanne et leurs deux enfants vivent dans un bel et vaste appartement. Le "chef de famille" a une très belle situation professionnelle et sa femme court, passe son temps à se "fatiguer" avec des occupations relativement futiles. Une bonne espagnole est à leur service, chargée de veiller aux habitudes et aux caprices de la famille. L'ancienne employée ayant été répudiée la nouvelle bonne s'appelle Maria. Pour Jean-Louis Joubert et sa famille un tournant bien inattendu se profile à l'horizon...

Je compare souvent la vie à un baromètre. Il y a "le mauvais temps", la morosité et parfois l'anxiété l'emportent. Il y a "le temps variable" symbole d'une vie sans trop de relief où le bonheur alterne avec la discorde. Enfin il y a "le beau temps". Là le bonheur est à portée de main et parfois aussi brulant que le soleil.

Ici dans le nid familial très sérieux et replié on obtient tout sans se forcer donc sans grand plaisir apparent. Tout est nickel dans l'appartement grâce à cette aide ménagère payée 3 francs 6 sous et exposée aux sarcasmes des propriétaires et même des gosses fiers d'eux-mêmes, fréquentant les meilleures écoles.

Dans ces beaux immeubles le "personnel" se retrouve dans un tout autre cadre. Composé ici de femmes espagnoles qui ne rentrent pas en général par l'entrée principale mais par la "petite porte de service" il vit comme il peut sous les toits dans un espace minuscule sans confort avec toilettes sur le palier. Dans ce lieu les propriétaires n'y pénètrent jamais, ce serait dégradant.

Maria n'est pas si bien traitée que ça par le couple exigeant à l'extrême. Madame "promène son cul", comme dirait Jacques Brel, et "s'épuise" entre les beaux magasins et le thé chez les amies. Quel programme ! Monsieur, toujours aussi sévère, rentre de son travail de cadre l'air éteint, absorbé par sa journée de travail. Le baromètre à ce moment est au "variable" pour tout le monde mais celui de Jean-Louis et Maria va remonter vers le "beau temps" et descendre au "mauvais temps" pour Suzanne et les fistons. L'époux résigné et fidèle commence enfin à s'adresser à cette femme de ménage et s'intéresser à ses conditions de vie. Un élan de curiosité le pousse vers ce fameux 6ème étage.

Là il se rend compte de l'état des lieux. Ceux-ci sont déplorables mais l'accueil pour ce propriétaire qui s'y aventure est chaleureux. Jean-Louis s'aperçoit de la solidarité de cette communauté ibérique et de la gaieté de ces femmes humbles malgré leurs conditions de vie. Eloignées de leur pays compte-tenu de la conjoncture politique de l'Espagne à cette époque elles gardent leur fierté, et ne tardent pas à "adopter" leur nouvel allié. Celui-ci tellement enchanté par ce climat de gentillesse décide de s'expatrier dans une piaule du 6ème étage et se met à s'intéresser de très près à tout ce qui concerne l'Espagne malgré la totale réprobation de son épouse et de ses enfants.

C'est ainsi que les repas animés vont se succéder et même les conseils financiers de Jean-Louis. L'entente avec la belle et douce Maria va s'intensifier. Seulement celle-ci a sa propre vie en Espagne avec des attaches fortes. Un matin le baromètre passe au "mauvais temps" pour le bienfaiteur, il apprend que Maria est repartie vivre dans son pays.

S'apercevant que le confort et la fortune n'est pas l'assurance tous risques d'une vie heureuse et sereine, le financier décide sur le champ de tout quitter et de partir la retrouver. Reste à savoir si le baromètre reviendra au "beau temps" ou "temps variable", ce n'est pas simple de changer de vie...

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Philippe Le Guay nous offre une œuvre pleine de qualités avec en premier lieu une description parfaite du comportement des habitants privilégiés des beaux quartiers par rapport à ceux qui avaient pour tâche de les servir. Le climat de ces années soixante ressort très justement. La vie du couple aisé, l'ambiance disparate régnant dans l'immeuble sont une véritable photo d'une partie de la société se disant bien pensante mais qui en fait cachait en elle beaucoup de dédain. Jean-Louis va sortir de sa léthargie avec l'ambition d'un idéal bien différent offrant de l'espoir et du bonheur à ceux qui n'en avaient guère jusque là. Dans ce rôle Fabrice Luchini est absolument remarquable, accompagné de Sandrine Kiberlain, Suzanne son épouse, excellente elle aussi. Tous deux nous renvoient à ce genre de couple engoncé dans des convenances, abusant de leurs privilèges sans jamais se remettre en question et sans jamais penser un instant à ceux qui participent à leur bien-être. Il y a pour eux le haut et le bas mais le bas à sa fierté, sa combattivité, ses moments de malheur et parfois même de bonheur. C'est le cas de Maria interprétée par Natalia Verbeke qui apporte tout son charme, sa force de vivre et de rire malgré les épreuves de son pays sous la dictature.

Je ne peux citer toutes les autres actrices, ces femmes remarquables et dignes bien que séparées de leurs racines et qui dégagent elles aussi beaucoup de tendresse et de fraîcheur.

Pour conclure, je classe ce film de Patrice Le Guay dans la lignée de "La Bonne Epouse" de Martin Provost. Ce sont des comédies pas aussi innocentes qu'elles en ont l'air. Nous explorons la rigidité de la société des années De Gaulle qui vont déboucher sur mai 68. J'ai passé un excellent moment en me remémorant un tas de souvenirs vécus et en plus ce film m'a réconforté avec la nature humaine et ça c'est une belle réussite par les temps qui courent.

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Box-office France: 2 213 187 entrées.

Ma note: 8/10

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le 28 nov. 2023

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