Les élues
6.9
Les élues

Film de David Pablos (2016)

Présenté dans la catégorie « Un Certain Regard à Cannes », Les Elues est un second film aux prises avec le réel. On y suit le parcours de la jeune Sofia, 14 ans, dont le destin va basculer peu à peu dans l’horreur. Le réalisateur s’est inspiré d’un quotidien qu’il connaît bien, celui de sa ville d’origine, la mexicaine Tijuana. Au-delà de ce que l’on connaît de son folklore et de ses trafics de drogues en tous genres, le Mexique n’est ici pas en reste côté prostitutions et vies volées à de très jeunes filles. Ces élues sont d’un autre genre que les héroïnes auxquelles on pouvait s’attendre. Et pour cause, elles n’ont aucune influence sur leur destin qu’un simple flirt d’ado vient transformer en prison. David Pablos filme la jeunesse, sa chute, mais aussi une certaine poésie dans les visages et les corps, une poésie qui peut vite virer au cauchemar. La jeune Sofia a le visage d’un ange, un rire déployé. Quand on la rencontre, elle s’apprête à vivre sa première fois avec un petit ami visiblement peu habile, qui la fait rire. Première fois avortée donc, mais vite balayée par des scènes de joie. Quand Sofia rentre chez elle, c’est pour s’occuper d’un adorable petit frère avant que sa mère, un peu dépassée par les événements, ne rentre à la maison.


Prises au piège


Au premier abord, David Pablos filme une banale romance adolescente, jusqu’au jour où Ulises, le bien nommé, rentre chez lui avec sa prétendante. Voilà qu’il s’assombrit alors qu’autour de lui, son père comme son frère redoublent de gentillesse pour la jeune Sofia. Scène à priori anodine d’un repas en famille. Pourtant, très vite Sofia va comprendre pourquoi son petit ami est devenu si sombre. La voilà élue pour être enfermée dans un bordel, arrachée à sa famille. La fuite n’y change rien. Personne ne rentre chez soi, pas d’heureux voyage ici, juste une romance mensongère. Dès lors, ce sont les rituels aussi routiniers que cruels d’un bordel peuplé de jeunes filles que filme David Pablos. On les voit transformer leurs corps en le maquillant, en se parant de vêtements « vulgaires » et se préparant à être choisies par des hommes aux désirs inassouvis. David Pablos suit avant tout le destin de Sofia, mais ne ménage pas non plus les présentations des autres occupantes, malgré elles, de cette « maison ». Impossible de s’échapper, même quand un bon samaritain tente de vous venir en aide. Ce n’est qu’en rêve que Sofia s’enfuit sans ombrage. La voilà donc obligée cette fois de vendre son corps. Plus de rires. Le réalisateur ne montre pas le sexe, il le fait entendre. On voit les corps des hommes nus, jamais celui de Sofia. Pendant les actes supposés, il la filme immobile, gros plan sur son visage impassible, immaculé. En fond sonore, la jouissance des hommes. Ce dispositif renforce l’aspect dérangeant que Pablos veut donner à son film. L’imagination faisant bien mieux son travail que les images.


Mais la force du film est qu’il propose une relecture de ses premières images à priori idylliques. Car pour faire sortir Sofia, dont il est tombé amoureux, Ulises doit séduire une autre jeune fille pour la remplacer. C’est alors que Pablos filme de nouveau le flirt, avec les mêmes images qu’au début, de la candeur au repas mis en scène par le père. On est glacés de voir à quel point le piège se referme à nouveau sur une toute jeune fille. Conscients de ce qui va se passer et de la cruauté de ce qui nous est montré à l’apparence si inoffensive. C’est surtout le visage de ces jeunes filles que le réalisateur capte, transcende, poétise. Il en fait des héroïnes empoisonnés par un mensonge : le premier amour. Les voilà corrompues avant même d’avoir vécu. Il ne se détache ainsi presque jamais du visage de Sofia et sa liberté, jamais elle ne la retrouvera, même hors les murs. Un constat glaçant, porté par une mise en scène solide et un sens aigu du regard du spectateur, sans cesse amener à revivre le drame. Quant à Ulises, il ne quittera jamais sa terre, épris d’une fille déjà détruite, appât d’une situation qui le dépasse et dans laquelle il joue pourtant le rôle principal…

eloch
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le 18 juil. 2018

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