Une mise en scène très plastique, qui va à l'essentiel.

La trame - deux officiers napoléoniens, sur une carrière de 15 ans, vont se rencontrer à plusieurs reprises et se battre en duel pour une raison qu'ils ont oublié, le besoin de confrontation reléguant la vie civilisée à l'arrière-plan, en utilisant le prétexte d'un code d'honneur viril chimérique - est issue d'une oeuvre de Joseph Conrad que je n'ai pas encore lue.

L'esprit des romans de Conrad, qui mêle une analyse psychologique très approfondie à la conscience de l'absurdité de la condition humaine, n'est pas très présent dans le film. Ridley Scott a surtout attaché ses soins à fournir une reconstitution visuelle impeccable et crédible de cette époque : chaque plan est profondément pictural, avec des tons en demi-teinte (le film a été tourné dans le Périgord, près de Sarlat, et il a plu pendant 95% du tournage). Chaque objet, dans chaque coin de photogramme, sert un rôle bien défini dans la construction finale. Pour autant, la reconstitution historique se borne à ce que les deux protagonistes voient des évènements (la retraite de Russie, etc...) : le film fonctionne par ellipse, et reprend la vie des deux personnages peu avant chacun de leur duel.

Les duels sont variés et jouent un rôle important dans la narration. Les personnages suivent des parcours distincts : Féraud, joué par Keitel, est un homme du peuple qui a tiré partie de sa sauvagerie pour s'élever dans l'armée napoléonienne ; D'Hubert est un noble élégant, plus civilisé mais plus inconséquent.

On retrouve dès cet opus toute l'ambiguïté de Scott vis-à-vis de l'aristocratie : le film se veut une critique de la prétendue morale de l'honneur qui sous-tend les duels, cependant la représentation visuelle qui en est donnée est indéniablement prenante et semble aller contre le propos apparent. C'est cette dualité, que l'on retrouve dans de nombreux autres films de Scott, parfois moins subtilement, qui fait à mon sens une bonne partie de l'originalité de ce réalisateur.