Johnny Cobb et ses deux fils quittent leur ferme pour se rendre en ville et assister aux sermons d'un prédicateur ambulant. Sur la demande de sa femme Henrietta, sur le point d'accoucher, les trois garçons Cobb y resteront dormir cette nuit pendant qu'elle s'activera, en compagnie de ses voisines, à mettre au monde leur troisième enfant. Au même moment, arrivant par les montagnes du Nord, le tueur à gage Bob Larkin et ses hommes descendent dans la vallée où est enclavée le petit l'îlot d'habitations en bois, et entrent dans Firecreek. S'ensuit une lente, progressive et insidieuse plongée aux enfers de ses habitants et une longue et irrémédiable agonie des valeurs de Johnny, l'homme que ses contemporains ont nommé shérif de la ville.


Firecreek peut être vu comme une métaphore de l'immobilisme international, et surtout européen, au moment de la montée en puissance du nazisme en Allemagne dans les années 30. Mais d'une manière générale, c'est d'une dénonciation plus large de l'apathie, de la passivité, et de l'inaction des hommes face au mal dont il est question ici. Une extension de ce que Hannah Arendt appelait "la banalité du mal" et qui traduisait simplement la paresse de l'homme devant les exactions du mal. Le film montre ainsi l'inhumain au fond de chacun et comment des hommes ordinaires peuvent devenir des bourreaux. Un mal moins radical que Kant prônait, à savoir un asservissement de la raison à la passion, mais bien plus latent et pernicieux qui fait d'un homme un monstre dès lors qu'il abandonne la raison au nom de son petit confort apparent. Ou comment, pour préserver les apparences, un homme est capable de corrompre son cœur.


Firecreek, par la sécheresse de ses paysages et de ses personnages, a la puissance d'une parabole biblique. Une parabole qui mettrait aux prises une population d'innocents suggérés et de démons avérés dans une petite ville paisible et respectable en apparence. Mais en apparence seulement. Car ce que nous dit Vincent McEveety c'est que nul n'est innocent en ce bas monde et que le seule barrière qui sépare les premiers des seconds dessine les contours de l'hypocrisie. Les idéaux meurent aussi vite que les hommes qui les créent. Johnny Cobb, tel un christ en croisade contre le mal, en fera l'amère expérience. Ni la solidité de sa communauté, ni la solidarité et la bonté de l'homme ne sont des valeurs acquises. L'Homme ne naît pas avec mais peut, et doit, mourir avec. C'est la fable tragique de la nature humaine dont la morale serait "de l'enfer au paradis, un homme peut étendre son d'âme : seule sa grandeur maintiendra les deux à distance et fera qu'il pourra trôner auprès des Justes ou au contraire se vautrer dans l'Hadès et posé les pieds sur le banquet de Dieu". Cobb lui-même n'est pas exempt de tout reproche, lui qui disait au début que cette histoire de pistoleros de passage en ville ne le regardait pas et qu'au matin tout cela ne serait plus qu'un lointain et mauvais souvenir.


Dans le camp d'en face, c'est Larkin qui se présente, tel l'antéchrist, comme la figure tutélaire du mal. Il fait pourtant montre d'une lucidité quant à sa fêlure et celles des autres qui trahit une certaine grandeur d'âme. Et c'est justement là qu'est le cœur du film : le pire dans l'histoire n'est pas le démon qui cherche à se démettre du mal qu'il sait héberger, mais celui qui ignore qu'il en est contaminé et se vend comme pur. Sa passivité face aux débordements de violence de ses hommes fait écho à celle de son antagoniste étoilé et de la population qu'il est censé représentée. La lutte du mal contre le mal peut alors commencer. Et comme il est déjà fait d'après Arendt, il ne tient plus à l'homme que le tuer.


Firecreek est sans conteste l'un des meilleurs westerns de l'histoire. Doté d'un scénario d'une intelligence et d'une richesse d'un autre monde, d'une mise en scène savamment effacée mais toujours juste et d'interprétations magistrales, du plus secondaire des personnages (Dulcie, la sage-femme, qui n'a depuis longtemps plus aucune illusion quant à la vraie nature humaine, Whittier, l'épicier totalement lâche et désabusé ouvertement opposé à une quelconque action contre les hors-la-loi de peut de perdre le peu qu'il croit posséder, ou encore les enfants de Johnny, également attirés par la puissance mortelle d'une arme à feu que par la souffrance et la misère affective d'Arthur, le garçon d'écurie un peu simplet de la ville) aux deux légendes du cinéma hollywoodien qui ont rarement été aussi à fleur de peau, le film de McEveety est une véritable révélation pour moi. Je n'attendais pas de ce parfait inconnu un film aussi fort et puissant (le mec officiait surtout à la télévision et réalisa notamment des épisodes de Star Trek et The Man from U.N.C.L.E. ainsi que quelques Disney). Il donne en outre à ses deux vedettes un de leur rôles les plus exigeants et les mieux écrits. Fonda, dont on ne saurait dire si sa passivité est un aveu d'impuissance ou plus simplement une volonté de libérer la Bête une bonne fois pour toute, est bouleversant en figure du mal en quête de rédemption. Il est probablement ce qui s'est fait de mieux dans le monde en matière d'acteur. Un des plus grands, si ce n'est le plus grand (pour moi c'est évident). Finalement, de ce chaos total qui dû à n'en pas douter inspirer Eastwood pour réaliser son High Plains Drifter, se dégagera un personnage, Arthur, le garçon simplet de Firecreek raillé par les autres mais ô combien meilleur qu'eux, qui le premier se dressa contre le mal.

blig
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le 2 janv. 2015

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