Douleurs de l’incendie

Avis sur Les Cinq Diables

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Scénariste réputée dans le cinéma français (notamment pour Desplechin ou Jacques Audiard), Léa Mysius s’était essayée au long métrage en 2017 avec Ava, un récit à hauteur d’enfant et un premier pas pour Noée Abita. Son retour derrière la caméra reprend certains de ces principes, pour un récit résolument féminin, et qui s’empare de la question du point de vue de l’enfant sur le monde des adultes. Dans Les Cinq diables, une dimension fantastique fait néanmoins son entrée, dans l’habilité développée par Vicky, une jeune fille capable de voyager dans le temps par le biais de son odorat.

Cette propension au surnaturelle sera néanmoins savamment dosée, et infusée dans un contexte réaliste qui fait la part belle à un village de montagne où la nature occupe le premier plan. Noirceur menaçante des massifs, opacité des plans d’eau, forêts humides et froides construisent ainsi un univers que les passions humaines vont tenter, non sans douleur, de réchauffer.

La capacité de l’enfant à visiter le temps de jeunesse de ses parents permet ainsi un récit alterné qui met en regard l’époque des grandes émotions de l’adolescence avec celui du renoncement et des non-dits. De ce point de vue, le mutisme de la plupart des personnages est fertile : il dit autant la douleur de grandir ou la capacité à encaisser (notamment dans la manière dont la gamine elle-même est harcelée à l’école) qu’il maintient la fébrilité de fils narratifs destinés à s’épaissir au fur et à mesure de leurs dévoilements. L’enquête sur le passé ouvre ainsi des voies qui flirtent avec le polar, mais sondent surtout les traumatismes du présent, et la manière dont l’espace a englouti les souvenirs avec le désir ardent de ne jamais avoir à les convoquer. L’impeccable distribution sert à merveille ce dessein, de la mystérieuse Sally Dramé à Adèle Exarchopoulos, aussi convaincante en gymnaste de 17 ans qu’en mère et épouse délaissée.

Il reste assez risqué de s’embarquer dans un récit sur le voyage temporel, et certaines failles restent assez problématiques.

On ne nous explique ainsi pas la raison pour laquelle la tante de Vicky transporte l’huile qui lui permet de retourner dans le passé. De la même manière, on peine à comprendre qu’elle ne reconnaisse pas sa nièce, censée l’avoir traumatisée des années plus tôt lors de ses apparitions à l’origine du fameux incendie qui lui a valu son bannissement. Et le twist consistant à initier une nouvelle boucle par l’apparition d’une nouvelle observatrice a tout de la pirouette scénaristique qui se soucie davantage de l’effet que de la cohérence générale.

Ces légèretés d’écriture sont sans doute à mettre sur le compte d’une vision plus symbolique des rapports humains et de la répétition en boucle des erreurs ou ravages de la passion. Il n’empêche qu’en investissant les territoires du genre, Léa Mysius joue, comme ses personnages, avec le feu : alors qu’elle parvient à capter l’atmosphère et la fascination inhérente à cet univers, elle délaisse encore une certaine rigueur factuelle qui aurait pu lui donner son plein éclat.

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