« Le faux est un moment du vrai », a dit un philosophe allemand


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Emmanuel Mouret a ses marottes. Il navigue entre des marivaudages légers et doux, notamment dans ses films où il se donne le premier rôle (Laissons Lucie faire !, Fais moi plaisir !, Caprice) ou des histoires plus sophistiquées comme L’art d’aimer (ambition du titre, déjà !), film choral pas complètement satisfaisant, la faute à des intrigues mal reliées entre elles et qui tombent un peu à plat.


Emmanuel Mouret reste selon moi un auteur sous-estimé : ses films sont subtils et agréables, légers et bien écrits, même si les critiques à son encontre, formulées par les ennemis de la vacuité, ne sont pas tout à fait infondées.


Mademoiselle de Joncquières, son dernier film, a cependant été un possible tournant dans sa filmographie : en adaptant un épisode de Jacques le fataliste de Diderot, Mouret a gagné en tenu, il s’est montré plus classieux (en sacrifiant hélas au passage sa légèreté et l’humour de Diderot).


Alors qu’en est-il des Choses qu’on dit, les choses qu’on fait ? Mérite-t-il l’étiquette de « meilleur film d’Emmanuel Mouret » que lui accole bon nombre de critiques ?


Pour moi, oui.


*


Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait est un récit qui s’affiche d’emblée comme une construction, un jeu. Les premières minutes plantent le dispositif : Maxime (Niels Scheider) rencontre Daphnée (Camélia Jordana), la femme de son cousin, et le film devient une histoire à tiroirs où les deux se racontent les amours des uns et des autres, une histoire en entraînant une autre.


Le récit saute d’un personnage à un autre, avec fluidité et rythme : si son charme s’essouffle parfois, le dispositif reste ludique.


Les histoires s’enchaînent, les personnages se croisent, des rencontres improbables ont lieu, les romances se multiplient : le faux y est assumé.


Et tout sonne faux : les dialogues sont servis dans une diction précieuse formulant des mots choisis au service de beaux discours sur l’amour ; les personnages sont archétypaux (l’écrivain raté, le mari lâche, le cinéaste poseur, la jeune femme volage), les univers sociaux se cantonnent à des intérieurs désespérément bourgeois et des extérieurs exagérément idylliques.


Tout cela a déjà été vu et entendu, le film respecte les conventions d’un certain cinéma (et théâtre) français qui peut agacer. Il n’empêche : le film joue ce jeu et le joue brillamment, ce faux sonne juste, les pérégrinations sentimentales de ces personnages sont touchantes.


Aussi le film s’inscrit-il dans la tradition d’un cinéma bavard. Le titre l’annonce : on y disserte des choses de l’amour, et les actes ne sont pas toujours à la hauteur des mots. Les choses dites sont belles, inspirées, élevées ; les choses faites sont mesquines, lâches. Et le film tâche de mettre à l’épreuve les paroles et les actes, il explore et s’amuse de la dichotomie entre les deux.


Ce genre d’histoire a déjà été raconté mille fois, mais Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait en a peut-être conscience : tout ceci est un peu dérisoire, mais le film le sait, il joue avec les attendus et les clichés du genre (sans se renier ni trop verser dans l’ironie pour autant). Ainsi la joute verbale entre Sandra (Jenna Thiam) et Gaspard (Guillaume Gouix), recouvert de musique, devient inaudible : c’est une logorrhée de part et d’autre, des mots pour eux-mêmes, ce qu’ils disent n’a pas d’importance, et c’est en se parlant qu’ils deviennent amoureux.


Quelques images trahissent la conscience que le film a des ses effets : lorsque Maxime et Sandra s’apprêtent à fauter, ils sont filmés à contre jour, l’image est très léchée, aussi poseuse que Maxime, qui joue à l’amant bestial. Mais la voix-off de Maxime révèle le fait qu’il sait qu’il joue un jeu, qu’il donne à Sandra ce qu’elle attend, tout comme Mouret donne à son spectateur la scène d’amour qu’il attend.


Plus tard, le plan où Sandra, de dos et en forêt, tient à la fois la main de son ami et de son amant est une (jolie) illustration du cliché du triangle amoureux ; les quelques plans bucoliques où Daphnée et Maxime tombent amoureux le sont tout autant.


La musique joue le même rôle, et tous les tubes de la musique classique utilisés au cinéma y sont : les Nocturnes de Chopin, Schubert, les Gymnopédies de Satie, etc. finissent par donner l'impression d'un jukebox de piano mélancolique.


Bref, le film en fait trop, tout sonne faux, et agacera les adeptes d’un pur naturalisme : dommage pour eux, ils passeront à côté d’un film terriblement charmant. C’est certes du marivaudage, mais il est ici parfaitement maîtrisé. S’il s’arrêtait à ça, ce serait déjà un bon film, malin, fin, attachant, touchant, ironique mais pas trop.


*


Mais la réussite d’Emmanuel Mouret, c’est de dépasser cette mignonnerie et de donner à son film une autre dimension.


« Le faux est un moment du vrai », disait un philosophe allemand. Je ne sais pas ce qu’il entendait par là, mais Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait l’illustre peut-être.


Cette réussite passe selon moi par le personnage de Louise, qui, l’air de rien, acquiert une importance inattendue : la discrète Louise, incarnée par Emilie Dequenne, dont le générique n’annonce que la « participation », porte le plus beau moment du film. Ce bouleversement est d’autant plus grand qu’il surprend : Louise est d’abord une présence à laquelle on fait à peine attention. Elle est celle qui en dit le moins, se contentant d’être apparemment un personnage fonctionnel qui trompe François (Vincent Macaigne) et lui donne une raison de partir vivre avec sa maîtresse.


Mais Louise n’est pas le personnage tertiaire de théâtre de boulevard que l’on croit : elle emmène le récit dans une zone qu’on n’envisageait pas pouvoir être pénétrée par le film.


En effet, on avait presque oublié qu’il était question d’amour, et loin des configurations conventionnelles de fiction, loin de disserter abstraitement sur ce sentiment, Louise propose, sans tambour si trompette, une théorie en acte de l’amour véritable.


Au terme d’une prostration déchirante par terre et aux pieds de son mari endormi, Louise, se découvrant trompée, se sacrifie pour le grand dadais François : le véritable amour lui commande de laisser partir son mari. Et Louise n’est pas un personnage victime, sacrificiel : ce sacrifice, elle l’accomplit d’abord pour elle. Elle se métamorphose ainsi en personnage sublime, quasi religieux : la nouvelle Louise est sereine, baignée par une lumière douce, elle semble avoir été touchée par la grâce, avoir atteint un nirvana, une apothéose.


Et ce segment sur Louise est d’autant plus étonnant qu’il n’a apparemment rien à faire là : le film n’avait jusque là a priori rien à voir avec le sublime, la conduite si pure (si caricaturalement pure, il faut bien le reconnaître) de Louise semble être une anomalie.


Une anomalie qui, paradoxalement, nuit un peu au reste du récit : la grandeur de Louise affaiblit d’un coup tous les autres personnages - après avoir fait l’expérience d’un amour si vrai, leurs amours deviennent plates - leurs histoires semblent anecdotiques.


Mais ce dernier mouvement donne au film une allure une leçon exhaustive sur l’amour, distinguant les mignons faquins bavards qui en parlent, et les autres, plus discrets, qui le font.

TomCluzeau
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le 21 sept. 2020

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Tom Cluzeau

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