Les Choristes a bien vieilli, dix ans après. Après nous avoir rabattu et rabattu encore les oreilles sur les plateaux des journaux de 20h, le film peut être enfin vu avec un recul et faire valoir toute sa profonde poésie. C'est un beau film.
C'est un film choral, bien sûr, face auquel on se laisse porter. Le film est un journal, on suit son auteur, Clément Mathieu, musicien raté, pion au chômage. Dès l'ouverture, ce journal annonce un monde bien déprimant, qui va aller de grille fermée sur la brume en grille ouverte sous la pancarte du Fond de l'Étang, d'abus d'autorités en punitions, de fumée à la gueule en lynchage furieux, de corruption en incendie. Des notes d'espoir viennent, ce sont des notes de musique. Même si l'espoir porté par ces notes est réduit au silence par la direction, la chorale continue de s'organiser, et surtout, d'y croire. Malgré le ton et le décor désespérant, il faut attendre la fin du film pour se rendre compte que, comme Pépinot qui attend le samedi, on a toujours raison d'y croire.
La poésie de ce film est bien sûr portée par la musique, la voix de Jean-Baptiste Maunier qui a grandi, on a dit assez de choses dessus bien sûr, et c'est dommage de ne plus vraiment pouvoir entendre la beauté de Caresses sur l'océan ou La Nuit sans entendre à nouveau les pubs pour les CDs ou pour les chorales qui l'imitent. Il n'empêche que c'est beau. Mais justement, la force du film, c'est qu'il n'est pas un film sur la musique, ni sur les choristes, ni sur la voix. Tout cela en fait partie et sert l'histoire d'un pion dans un internat de la France profonde, baignée par la brume de l'année 1948.
Et la France baignée par la brume de l'année 1948, c'est une France qui sort de la guerre. Une France qui est encore marquée par la collaboration de Vichy, et dans laquelle Clément Mathieu ne peut s'en prendre qu'à la chance s'il envoie au cachot le petit Boniface, innocent. Une France qui est encore marquée par la délation et qui utilise littéralement ce mot. Une France marquée par les morts dans les caves sans avoir parlé, et qui organise une chorale clandestine pour se réunir et espérer, par la musique et par le cœur. Une France qui comptait des héros et des salauds, avec des salauds qui ne le sont pas (comme Mondain qui est à l'origine de l'incendie, incendie qui fait éclater les tensions et rendre justice à chacun), avec des héros qui s'ignorent (Morhange qui résiste à tout puis s'engage au sein du groupe et poursuivra toujours ce chemin). Une France des prisons, des cachots, des dortoirs où tous sont entassés, se volent des couvertures, et dorment même avec des pyjamas à rayures.
C'est un film sur la guerre. C'est avec une grande subtilité qu'il traite de la guerre en montrant ses séquelles plutôt qu'en en parlant. Vraiment, ce dont on parle, on ne le dit pas. Ici, on le chante.