Les Banshees d’Inisherin, ce titre obscur qu’on aura toujours un peu de mal à orthographier, donne le ton d’un film qu’on a d’abord aussi du mal à cerner. On ne sort de là ni grisé par les éclats de rire ni étourdi par les larmes, mais plutôt perplexe sur ce qu’on a ressenti et donc ce qu’on en retiendra : ai-je aimé ou suis-je passé à côté ?…et tant pis pour l’emballement médiatique. A défaut de susciter l’emballement émotionnel du simple spectateur, le film ne laisse pour autant pas indifférent : il fait gamberger. Mention spéciale pour le jeu des acteurs mise à part, c’est l’intellect qui en mesure a posteriori l’exercice de style esthétique et philosophique. Quelques personnages stéréotypés dignes d’une pièce de théâtre tragi-comique (l’ami bourru, le benêt naïf, la sœur intellectuelle, le jeune ignare, le père brutal etc.) évoluent sur la scène d’un petit village isolé où l’essentiel et le prosaïque sont le quotidien. Conduire des troupeaux, aller à l’église, pêcher, prendre ses repas et se divertir au pub, telle est l’existence autosuffisante de ces modestes humains avant que l’un d’entre eux ne conteste radicalement ce cadre, certes paisible, mais ennuyeux et étriqué. Au loin, le bruit des canons laisse deviner un territoire plus vaste ; autour de l’île, les falaises et la mer montrent l’immensité ; le vent souffle l’inconnu. Ce décor à deux échelles est le théâtre d’un huis-clos absurde voire guignolesque dans ses excès, et la rupture amicale (qui pourrait aussi bien être amoureuse) le prétexte d’un récit sur la quête de sens et de liberté à l’aune du temps qui passe. Ecrire la plus belle musique, vivre au milieu des livres ou parler à son âne, chacun a ses aspirations. Chacun met son temps à profit ou le gaspille mais personne ne le retient. Petitesse ou grandeur, vacuité ou postérité, amour ou désespoir, les âmes tourmentées se questionnent, prises de vertiges sur les bords de ce monde fini ouvert sur l’horizon.

Jeannne
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le 30 janv. 2023

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Jeannne

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