Que faire lorsqu'on est un paysan rustre et pauvre, vivant sur une petite île au large de l'Irlande au début du 20e siècle et que votre seul ami vous annonce qu'il ne vous aime plus et qu'il ne veut plus vous voir, prêt à recourir à la violence pour s'assurer de la chose ? C'est sur ce postulat loufoque que démarre les Banshees d’Inisherin, joyeuses retrouvailles de Martin McDonagh et son duo Colin Farrell et Brendan Gleeson, dans une comédie noire désopilante. Fidèle à lui-même le réalisateur réussit son mélange entre un humour féroce et incisif, une mélancolie duce et un versant plus dramatique. Les dialogues et même joutes verbales tombent toujours justes, et la galerie de personnages intelligemment agencée : de l’idiot du village pas si bête que ça, à la boutiquière commère en passant par le curé indiscret et la sorcière locale, le petit monde d’Inisherin se passionne pour cette querelle étrange et cette escalade absurde.

Le film est peut-être un poil moins rythmé que ces prédécesseurs, accusant une légère baisse de régime qui fait mentir le temps passé en salle. Mais c’est également assumé, car le film est encore plus introspectif que les 3 précédents long-métrages de Martin McDonagh. A la dépression et la solitude s’ajoute ici une réflexion sur l’héritage, ce qu’on laisse derrière soi, et en miroir la peur de la vanité de la vie, trop prompte à s’évanouir sans trace mémorielle forte. Cette remise en question est incarnée en premier lieu par Colm, qui ne veut plus perdre son temps avec Pádraic, mais elle est au final celle de nombreux insulaires, coincés dans un quotidien morne et sans futur, mais hésitants à quitter ce cocon épargné par la guerre civile. Ce combat intérieur est extériorisé par la querelle de Colm et Pádraic, qui se passent de mots si ce n’est de rares répliques à la fois cruelles et méchamment drôles, pour en passer aux actes, d’une violence incongrue.

Ce qui fait fonctionner le film au-delà de la très bonne écriture de dialogues, c’est la complicité entre les acteurs, et surement entre eux et le réalisateur. Colin Farrell est comme toujours excellent, mêlant ici incompréhension, abattement et entêtement, avec une détresse émotionnelle palpable et pourtant une forme de candeur intouchable. Barry Keoghan est également impressionnant dans son jeu de l’ado maltraité un peu dérangé, mais très perceptif et sensible.

On reconnait également le talent du réalisateur pour valoriser les paysages et ses archétypes, maniant grands panoramas ouverts et détails pointus, et qui donne une furieuse envie de voyager— seul évidement, pour allier voyage physique au voyage intérieur.

Les Banshees d’Inisherin donne un coup d’envoi très réussi et réjouissant à l’année 2023, alliant introspection, nature et humour.

AlicePerron1
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le 11 janv. 2023

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Alice Perron

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