Après les panneaux et les flammes de Three Billboards, Martin McDonagh revient en Europe, sur les terres d’Inisherin, une petite île isolée au large de l’Irlande. A la tête de l’affiche, le duo qui avait déjà porté Bons Baisers de Bruges il y a quinze ans. Les Banshees d’Inisherin viennent aujourd’hui apporter leurs messages, pleins de tristesse, de colère et de mélancolie, et nous confronter à un vrai choc.


Il suffit de la décision d’un seule homme pour bouleverser le quotidien de la petite et paisible île d’Inisherin. Un homme qui a décidé de couper les ponts avec son ami, qui se retrouve face au fait accompli, désarmé, dans l’incompréhension la plus totale. Pourquoi ? Qu’entretenaient-ils comme relation ? Des questions qui trouveront progressivement leurs réponses lors d’échanges dans le pub de l’île, chez l’un ou chez l’autre, laissant apparaître des visions du monde qui s’opposent et laissent peu de place au compromis. L’un veut juste retrouver son ami, quand l’autre cherche à être seul, cherchant et trouvant son épanouissement dans la musique, loin des discussions vaines qu’il pouvait avoir par le passé. Il ne s’agit plus de perdre du temps, quand ce dernier semble progressivement manquer. Les Banshees d’Inisherin va ainsi se présenter comme une tragédie exposant la mort lente d’une amitié, un événement recelant bien d’autres réflexions et pensées sur notre monde et la nature humaine.


Quand Colm annonce pourquoi il ne veut plus parler à Pádraic, le spectateur se retrouve face à la même incompréhension que ce dernier. Colm prend la position du vieil homme aigri face au pauvre Pádraic, qui cherche par tous les moyens à recoller les morceaux, et qui espère. Sur une île ou l’on vit modestement d’un peu d’agriculture, et où seuls les petits ragots engendrent un brin de mouvement, voir qu’un homme décide de s’isoler d’un autre pose forcément question. De la nature des relations humaines à la peur de la mort, en passant par l’héritage que l’on souhaite laisser, à notre place dans le monde et la société, Les Banshees d’Inisherin fait d’une histoire d’amitié mourante le terreau d’un récit passionnant, touchant et d’une profonde tristesse.


Les Banshees d’Inisherin, ce sont d’abord des choix de mise en scène, avec cette immensité de la nature qui isole les Hommes et les font paraître minuscules, allant et venant sans véritable but comme des chiens errants. Ce sont deux hommes qui prennent leur bière côte à côte, mais qui sont désormais séparés par un mur de pierre. Ce sont aussi deux hommes qui s’expliquent dans un pub rempli, mais où l’on n’entend que leurs deux voix, comme si le monde tournait autour d’eux et, surtout, créant une sensation de vide. Car le vide est probablement ce qui constitue la majeure partie du monde dépeint dans Les Banshees d’Inisherin, un monde où l’on vit sans réelle occupation, où l’on n’a rien à raconter, sinon des choses qui viennent d’ailleurs. Une vacuité qui motive cette peur de disparaître sans laisser de trace ni avoir trouvé de moyen de vivre à proprement parler, pour reprendre les mots de Colm : « je me divertis pour fuir l’inéluctable. »


Mais Colm, dans sa démarche sincère, ne se retrouve-t-il pas à jouer un rôle qui ne lui convient pas (s’improvisant musicien quand il se trompe dans le siècle pendant lequel a vécu Mozart) ? Pendant que Pádraic, lui, incarne cette vacuité par sa naïveté et sa simplicité, mais il fait également preuve d’une grande humanité, et d’une forte empathie, qui vont se retrouver affectées par l’attitude de Colm, et le pousser à être ce qu’il n’est pas non plus. Ainsi, Les Banshees d’Inisherin décrit également tout le théâtre que peut être la société, où les individus agissent d’une certaine manière pour se trouver un rôle convenable auprès des autres.


En illustrant l’effondrement d’un monde, Les Banshees d’Inisherin nous ramène à l’essentiel, dans un drôle de périple initiatique qui ne sera pas exempt de souffrances. Cette querelle fait écho aux tirs de canons et de mitraillettes au loin, ou peut-être sont-ce eux qui font écho à cette querelle, prenant part à la grande histoire malgré son aspect insignifiant. En un peu moins de deux heures, Martin McDonagh nous entraîne dans un tourbillon d’émotions, cette histoire paraissant si crédible, et ces situations et ces personnages devant forcément nous parler à un moment ou à un autre. Un film d’une très grande richesse, touchant, porté par un duo d’acteurs au sommet, et notamment un Colin Farrell qui livre une prestation formidable, toute en subtilité, et profondément émouvante.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 2 janv. 2023

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